NB : A l’origine, cet article est une réponse à un autre article intitulé "Pourquoi je n’irai pas manifester", venant d’une personne (Agnès) que je ne considère pas comme "une ennemie de classe", loin de là, mais dont la réaction face à la situation actuelle, si je peux la comprendre, m’interpelle cependant et m’a donné envie de répondre de façon détaillée et sans détours. Je la poste ici aussi parce que finalement, ce que dit Agnès on le lit aussi ici sous d’autres plumes.
Bonjour Agnès !
Bon, je comprends (qui ne peut pas comprendre?) ton exaspération devant la situation actuelle.
Moi même, syndiquée CGT et militante active, quand j’entends Bernard Thibault ou Chérèque à la TV ce matin, j’ai une grosse envie de sortir la boîte à gifles.
Donc je la sors.
Et cette boîte à gifles, c’est quoi pour nous, les prolos (syndiqués ou pas)?
De rester chez soi par colère et dépit et en plus, de le crier haut et fort comme tu le fais? Non.
Je pense que au contraire, tu donnes là du grain à moudre à ceux que, j’en suis sûre, tu veux combattre et virer autant que moi ou d’autres "cons imbéciles" qui iront ENCORE manifester aujourd’hui.
Pourquoi je vais manifester?
Parce que ça m’amuse d’aller user mes semelles, perdre une journée? Parce que je n’ai rien d’autre à foutre?Parce que je fais confiance aux directions nationales des organisations syndicales? Parce que je pense que c’est une manifestation, sans prises de parole publique, sans "meeting", tous les 15 jours qui va faire plier Parisot/Sarko?
Mais non, bien sûr !
J’y vais parce que je n’ai pas le choix, pour défendre ma peau, celle de mes gosses, de mes vieux...
J’y vais parce que pour l’instant les conditions de la grève générale ne sont pas encore réunies ( mais ça monte, de partout, doucement, mais sûrement). Et donc qu’il faut maintenir la pression..sur les organisations syndicales !
Les manifs depuis quelques années servent aussi (et surtout) à ça !
Les directions nationales des syndicats ne prennent pas les mêmes décisions avec 4 millions de personnes en manifs, des syndicalistes ultra-mobilisés, et des grévistes qui augmentent chaque jour qu’avec 1 million et pas de grèves ! Le PS ne peut pas faire les mêmes saloperies si nous sommes debout à nous battre avec tous nos moyens (pas épais j’en suis d’accord mais si même le peu qu’on a on l’abandonne...) si on est 4 millions à gueuler et à s’arrêter de bosser que si on est 500.000.
Voilà, c’est une première chose.
Deuxième chose, aller en manif, ça te permet de discuter, et de mobiliser aussi les plus "timorés". Présents, mais "timorés".
Ça permet de contrer la CFDT qui dans les cortèges, chante et crie que EUX ils veulent "une autre réforme" et "allonger la durée de cotisation" et ces conneries de jaune de m... Ca permet de faire de la "propagande politique" chacun à sa modeste échelle, là où justement , Chérèque et Thibault et Aubry veulent ABSOLUMENT "dépolitiser" le mouvement.
C’est aussi un geste de solidarité, pour les plus "disponibles" d’entre nous, envers toutes celles et tous ceux, ouvriers, employés, chômeurs, aux salaires de misère, qui font ENCORE l’effort de faire grève et de manifester !
L’histoire du mouvement ouvrier et syndical n’est pas née hier. Tu le sais.
On a eu des victoires, (et comment !), mais aussi, combien de défaites, de divisions, d’éclatements?
Pourtant "nous" sommes là, encore, réduits oui, mais ce n’est pas la première fois, dans l’histoire de la CGT en tout cas (seule que je connaisse vraiment).
La direction nationale de la CGT est "bicéphale".
Notre véritable organe (très imparfait, je le reconnais) à nous prolos syndiqués dans cette OS, c’est non pas le bureau conf (que je m’abstiendrai de qualifier....) mais le CCN.
Lors de la proposition par Thibault et le bureau conf de soutenir le TCE pour 2005, NOUS, par la base, par le CCN, avons OBLIGE B. Thibault à manger son chapeau et à abandonner son projet de soutien.
Et nous avons fait en sorte , CONTRE LE GRÉ du Bureau conf, de porter l’exigence absolue d’un "NON" au TCE. Et crois moi c’était loin d’être gagné au départ. Mais ils ont du tourner casaque et se plier à la base. Je n’oublierai JAMAIS ça. A chaque fois que je panique ou que je désespère, j’y repense.
Et puis de toute manière, sauf à rêver spontanéisme des masses (ce qui n’est pas mon cas), on n’a pas beaucoup d’autres outils que celui là.
On n’a plus (pour l’instant) aucun parti politique qui tienne la route pour porter valablement un projet politique de société différente, alors si on lâche le syndicalisme de classe, même boiteux, même amputé, on n’a plus qu’à se flinguer, Agnès !
La réalité, elle est là AUSSI.
Par ailleurs sur le fond, ton analyse des certes évidentes carences et lacunes et "trahisons" des OS me semble un peu courte.
Il y manque, il me semble, une analyse en termes de classes et de sous couches sociales du monde du travail actuel, en termes de configuration de la société du travail (largement entendue), et aussi, corrélativement, des ravages que la social-démocratie du PS a faits pendant 35 ans dans le monde du travail et dans les orgas de la classe ouvrière.
La lutte des classes est partout, comment n’aurait-elle pas AUSSI traversé nos organisations? Nous sortons d’une longue période de collaboration de classe qui a désarmé les travailleurs. Il faut reprendre le collier, Agnès, il faut s’inscrire dans le mouvement et militer.
Tu crois que je partage tout ce que dit ou fait (ou ne fait pas !) la direction nationale de mon syndicat? Certainement pas !
Mais je vois tous les jours AUSSI l’efficacité que peut avoir la CGT (celle "de classe et de masse" avant que Louis Viannet ne commence à nous la démonter pièce par pièce) dans les entreprises, y compris les PME.
Il n’y a RIEN d’autre comme arme aujourd’hui pour le prolétariat moderne. RIEN.
Si tu vas expliquer à des jeunes salariés précarisés de chez H&M ou GoSport ou la FNAC que la CGT et militer et se battre par tous moyens ça ne sert à rien, ils vont t’envoyer voir ailleurs s’ils y sont.
La CGT c’est NOUS.
Ce que nous en faisons NOUS.
Que ce syndicat ne soit pas (encore) aujourd’hui ce qu’il devrait être, ce qu’il PEUT devenir, qu’il soit enkysté par une certaine bureaucratie, lieu de luttes de pouvoirs de certains fédérocrates, qu’il ne soit pas en adéquation avec le monde du travail actuel et ne le représente plus ou pas assez bien, et tout ce que t u veux , oui et oui !
Mais quoi d’autre Agnès? QUOI D’AUTRE?
Et puis, ce n’est pas seulement parce que les directions nationales sont minables que ça ne va pas comme on voudrait dans les luttes actuelles.
Leurs attitudes s’appuient aussi sur des réalités de classe objectives ! C’est aussi parce que, du fait d’un changement profond dans le salariat français moderne, parce que faute de parti(s) portant une perspective politique crédible, alternative, anticapitaliste, parce que la collaboration de classe a fait des ravages partout, parce qu’il n’y a pas de campagne de syndicalisation nationale digne de ce nom, ni de formation des nouveaux militants etc...il n’y a pas un français sur deux syndiqué aujourd’hui !
Le syndicalisme de classe ( je ne parle donc pas des danseuses patronales type CFDT ou CFTC et ça, ça ne date pas d’hier), le syndicalisme de classe, c’est à la base, sur le terrain, dans les entreprises, sur le lieu d’exploitation quelle que soit désormais la forme de cette exploitation (et donc y compris dans le "salariat déguisé").
Ça repose sur le travail quotidien des militant-e-s, dans ces lieux d’exploitation. Pour des miettes, des broutilles diront certains, pleins de mépris, genre 1,5 % d’augmentation des salaires via les NAO, genre égalité des salaires hommes/femmes, protection des libertés syndicales dans l’entreprise, grève et mobilisation en cas de menace de PSE etc. ET AUSSI à la participation aux structures interprofessionnelles.
Donc, et je parle en connaissance de cause, oui, une vraie vie de chien pour le syndicaliste qui a décidé de faire à peu près correctement son boulot. Non, ce n’est pas un chemin pavé de roses, non ce n’est pas facile, c’est même plus souvent "du sang et des larmes" que "y’a d’la joie".
Tout ça pour dire, Agnès, que le syndicalisme, ça s’inscrit dans un temps très long, que ça demande de garder la tête froide face aux conditions objectives, de la perspicacité aussi pour savoir distinguer (et ce n’est ps toujours évident !) le "bon grain de l’ivraie" ; ça nécessite de la patience, la révolution, ça demande de remettre cent fois sur le métier notre ouvrage, et y compris de participer aux combats de classe EN NOTRE SEIN.
Ton attitude ne changera rien et même, va empirer les choses. Un syndicat (en tout cas comme la CGT), ce n’est pas (encore) un parti politique. Ça fonctionne différemment, et là, oui, les réformistes et les collabos ne gagnent que sur NOS capitulations et nos désertions à nous.
Je pense (peu être à tort, tu me diras) que ton attitude aujourd’hui est le fruit de ton (in)expérience syndicale aussi. Sans vouloir te donner de leçon ,je crois que là où le bât blesse (comme chez bcp aujourd’hui) c’est dans l’absence d’expérience syndicale dans une boîte.
Je pense que la majorité des salariés ne se rendent pas compte de ce que demande le combat syndical comme patience, humilité, écoute et courage. Car il en faut, du courage pour se syndiquer et ensuite, devenir militant-e. Il faut même peut être un grain de folie !
Je me demande si les prolétaires qui adoptent plus ou moins la même attitude en général que toi ont jamais expérimenté le syndicalisme de terrain. Sinon, vous sauriez que l’action syndicale, c’est fait de patience, d’opportunisme (au sens de saisir les opportunités et les contradictions du patronat).
La rencontre avec "les masses" (je ne parle pas de les "diriger" hein..) qu’implique un syndicalisme efficace, c’est l’école de l’humilité et de la patience.
Rome ne s’est pas faite en un jour, la CGT dans une boîte non plus, crois moi ! Quand tu as mené un an de combat (au vrai sens du terme !!) pour décrocher 1 % d’augmentation salariale aux NAO, NAO pour lesquelles tu t’es déjà battu un an pour les faire ENFIN tenir, là tu piges ce que ça veut dire "syndicalisme". Et je ne parle pas de la syndicalisation, des élections (à gagner impérativement haut la main désormais !!), et bref, de tout ça.
Même quand tu es de nature "énervée" ou soupe au lait comme je le suis, le syndicalisme de terrain ,loin de t’entraîner au renoncement, ça t’entraîne, je pense, à la PATIENCE. Une défaite un jour, une victoire (d’étape, toujours d’étape !) le lendemain, et plus de défaites que de victoires. Mais pouce à pouce, on avance. On progresse. On doit.
Je REFUSE de laisser la CGT, MA CGT, aux mains de ceux qui veulent notre mort. Pas question, jusqu’à mon dernier souffle et même si c’est pour certains Don Quichottesque, je me battrai.
La CGT c’est à MOI, à NOUS, ses adhérents. Pas à Bernard Thibault, ni à Chérèque, ni à Parisot ni à Aubry... A NOUS. "La racaille, la canaille".
Allez Agnès, ne boude pas, prends ton courage à deux mains, entre dans la danse, vient te battre avec nous, encore une fois. Adhère à la CGT Chômeurs Rebelles par exemple, participe, exprime toi, apprends.
Et pour aujourd’hui, fais un effort, pour nous toutes et tous, pour toi, ne "désespère pas Billancourt", ne nous laisse pas seuls face aux directions nationales molles, félonnes, face au patronat, viens manifester.
S’il te plaît.
Je te salue.
PS : Après avoir écrit ce post, je reçois des nouvelles de camarades de Nice, de Marseille, et même d’Ajaccio (où ils sont plus de 4000 !) : les manifs sont blindées, il y a plein de jeunes, et des slogans du style "la CGT c’est pas à Thibault, c’est à NOUS", "retrait de la réforme, retraite à 60 ans !" A Ajaccio, la préfecture s’est fait bombarder d’oeufs, ils ont même fermé les grilles, en panique ! A Nice, il y a 10 minutes, le début du cortège passait devant la FNAC Place Masséna, et la queue n’avait toujours pas commencé à bouger ! A Marseille c’est le délire semble-t-il. BIEN BIEN !