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Lire en ukraine et bielorussie

Publié le 23 septembre 2010 par Abarguillet

LIRE EN UKRAINE ET BIELORUSSIE

De Minsk à Kiev

Quittant la Roumanie et la Moldavie pour remonter vers le nord et les vastes plaines de l’Ukraine et de la Biélorussie, nous partirons à la rencontre de ces écrivains que nous avons toujours pris pour des Russes même s’ils sont nés sur la façade ouest de l’empire russe, ou soviétique selon l’époque. Mais, l’abondance de la littérature russe nous permet d’effectuer plusieurs étapes dans ces immenses contrées et nous consacrerons donc un séjour spécifique pour l’Ukraine et à la Biélorussie, devenue depuis un certain temps le Bélarus, que nous passerons en compagnie d’Irène Némirowsky qui appartient plus à la littérature française qu’à la littérature russe mais que nous conserverons comme guide pour cette étape au moins pour des raisons pratiques. Nous aurons aussi l’occasion de rencontrer deux des grands maîtres de cette littérature : Nicola Gogol dans une œuvre célèbre mais pas forcément majeure et Mikhaïl Boulgakov dans l’un de ses chefs-d’œuvre. Pour compléter notre parcours, nous consacrerons un peu de notre temps à la Biélorusse Svetlana Alexievitch qui  m’a beaucoup ému et révolté à travers la lecture que je vous propose.

Chaleur du sang

Irène Némirowsky (1903 – 1942)

Belle excursion dans la campagne profonde du Morvan vers la fin des années trente mais aussi très fine incursion dans le monde morvandiau, dans cette société paysanne, refermée sur elle-même, qui édicte ses propres règles, prenant force de loi, et qui rend sa propre justice de façon à pérenniser cette organisation agraire et patriarcale assise sur la possession de la terre. Silvio, vieil homme qui vit en ermite au fond des bois, après avoir parcouru le monde, raconte l’histoire de sa famille, avec ses mariages arrangés, ses amours cachés, ses enfants adultérins…, toutes ces choses que l’on ne dit jamais mais que tout le monde sait.

Hélène et François racontent leur rencontre, leur mariage et tous les avatars qui ont conduit à leur union à la demande de leur fille, Colette, qui va se marier prochainement avec un jeune homme du pays qu’elle croit aimer mais son cœur brûlera vite pour un autre, comme celui de son amie Brigitte mariée avec un vieillard cacochyme. Silvio regarde, se souvient et raconte l’histoire de cette famille qui est celle de bien des familles de la région et de nombreuses autres campagnes françaises. J’ai eu l’impression tout au long de cette lecture, de me retrouver sur les plateaux jurassiens quand j’étais mômes, dans les années cinquante et soixante encore. Dans ces campagnes où l’on marie les filles avec un homme qui a du bien, où l’avoir compte beaucoup plus que l’être, où l’on n’échappe pas à son destin : le riche épouse la riche, ou la belle, et la pauvre, ou la moins belle, n’épousera qu’un pauvre peut-être même pas beau du tout. Brigitte et Colette, jeunes femmes belles et bouillonnantes, telle Constance Chatterley égarée sur les rives de la « Mare au diable », ne se contenteront pas de ces mariages arrangés et revendiqueront les droits de leur corps et de leur cœur mais devront, aussi, en payer le prix fort.

Un excellent roman écrit dans un style sobre et dépouillé qui n’a pas besoin de beaucoup de mots tant ceux qui sont utilisés sont justes et opportuns ; et tant le regard porté par l’auteur est précis et profond. On dirait qu’Irène a des générations de Morvandiaux dans son arbre généalogique, elle comprend ces paysans matois, rusés qui s’épient, se jaugent, sont en permanence à l’affût d’un bon parti ou d’une bonne affaire, comme si elle, aussi, avait été mariée avec l’un d’eux. Une certaine forme d’apologie de cette vie simple dans cette campagne pas encore altérée ; mais une apologie consciente des limites de cette société qui tolère mal les étrangers et ceux qui se sont mis en marge des règles de ce milieu.

Dans ce roman, Irène Némirowsky propose une belle analyse du couple épouse-maîtresse, des aspirations du cœur et du sexe, de la chair et des sentiments, de la passion et de la raison, pour défendre le sort de ces femmes qui ne sont pas que des monnaies d’échange mais aussi des êtres qui ont d’autres exigences et qu’  « il ne s’agit pas seulement des exigences de la chair. Non, ce n’est pas si simple. La chair, elle, se satisfait à bon compte. Mais c’est le cœur qui est insatiable, le cœur qui a besoin d’aimer, de désespérer, de brûler de n’importe quel feu… ». Elle explore aussi la notion de vérité qui n’est pas forcément toujours bonne à dire, un bon mensonge consensuel vaut parfois bien une cruelle vérité, de faute qui n’est pas pardonnée facilement et de punition qui est souvent bien sévère dans ces campagnes puritaines.

Une grande voix, une très belle plume, au service de la cause des femmes et de l’amour « … quelles belles folies que celles de l’amour ! Sans compter qu’on les paie à l’ordinaire si cher qu’il ne faut pas les mesurer parcimonieusement à soi-même ni aux autres. »

Tarass Boulba  de  Nicola Gogol  ( 1809- 1852 )

Avec ce héros devenu mythique, Gogol nous entraine au cœur de l’Ukraine quand les cosaques s’étripaient avec les chevaliers polonais, au XVII° siècle, pour défendre la religion orthodoxe. Ce combat est bien sûr totalement imaginaire comme les personnages qui y participent dont un des fils de Tarass Boulba qui passe à l’ennemi pour l’amour de la fille du gouverneur polonais. Le roman prend alors l’allure d’une tragédie grecque, le père étant coincé entre son honneur, et son devoir, d’une part et l’amour de son fils d’autre part.

Ce roman n’est certes pas son œuvre majeure mais il a connu une très grande notoriété notamment depuis qu’il a été plusieurs fois porté à l’écran. Gogol figure parmi les grands maîtres de la littérature russe, dont il est considéré comme l’un des fondateurs et, les spécialistes le présentent aussi comme le père spirituel de nombreux auteurs dont Dostoïevski notamment.

La garde blanche  de Mikhaïl Boulgakov  ( 1891 - 1940 )

Grand conteur devant l’éternel, Boulgakov raconte la prise de Kiev par les troupes bolcheviques. En 1918, une grande agitation, une grande confusion règnent dans la ville, les Allemands la quittent, l’état major russe abandonne ses troupes, le sanguinaire Petlioura déboule dans la ville avec ses troupes de brutes assoiffées de sang mais fuit rapidement, en 1919, quand les troupes bolcheviques apparaissent. Boulgakov raconte cet épisode à travers les événements quotidiens de la famille Tourbines et de son entourage pour embrasser ensuite l’ensemble du conflit qui agite alors la Russie. Un livre quelque peu désabusé qui marque, avec une certaine mélancolie, la fin d’une civilisation, la dégénérescence d’un pouvoir incapable de s’opposer à la révolution. Et, cette incapacité inspire le désespoir que Boulgakov évacue dans une sorte de délire fantastique pour oublier l’incurie et l’incapacité des troupes contre révolutionnaires. Un grand roman russe.

La guerre n’a pas un visage de femme  de Svetlana  Alexievitch  ( 1948 - ... )

Svetlana Alexievitch est née en Biélorussie, le Bélarus comme on le dénomme maintenant, et elle vit désormais en France. Pour écrire ce long témoignage, elle a recueilli les récits de guerre de nombreuses femme, très jeunes à l’époque, parfois à peine âgées de dix-sept ans, qui soignaient les blessés dans les hôpitaux où dans postes de premiers secours, qui servaient dans la défense anti-aérienne ou qui, souvent, étaient employées pour aller chercher les blessés sous le feu de la mitraille ennemie. Ces jeunes femmes ont quitté la guerre par la petite porte, elles n’ont reçu aucun témoignage de reconnaissance, aucune décoration, aucun remerciement. Elles n’ont pas droit au statut d’ancien combattant, elles ne parlent pas, se taisent, gardent ces terrible souvenirs pour elles et ont même honte d’avoir commis des actes que des femmes bien élevées ne devraient jamais commettre. Un livre d’une grande émotion, un livre qui ouvre une autre porte sur les affres de la guerre, un livre qui stigmatise le comportement des autorités soviétiques vis-à-vis de ces femmes soldats et ô combien courageuses.

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