Roms : le rétro-pédalage
Même si son patron a sur-joué l'indignation facile jeudi dernier à Bruxelles, la Sarkofrance tente plus ou moins discrètement de calmer le jeu. Le gouvernement français avait écrit, lundi, à Viviane Reding, la commissaire européenne à la Justice, pour confirmer que ni Eric Besson ni Pierre Lellouche n'étaient au courant de la circulaire du 5 août ciblant expressément les Roms. Paris a également livré toutes sortes d'explications pour minorer sa chasse aux roms.
Quel contraste avec les déclamations d'il y a trois semaines ! Fin août Hortefeux et Besson se félicitaient du nombre d'expulsions de Roumains et de destructions de campements de roms pendant l'été. Ils parlaient, avec plaisir et satisfaction du devoir accompli, de « l'accélération » des mesures de démantèlement et d'éloignements. Depuis la semaine dernière, le ton a changé. La France, honteuse, est montrée du doigt. Reprenant les arguments défensifs de Nicolas Sarkozy de jeudi dernier à Bruxelles, le gouvernement français tente désormais d'expliquer qu'il n'a pas ciblé les roms, que deux tiers des campements illégaux détruits étaient occupés par des « Français. » On n'y comprend plus rien ! « Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis le mois d'août, plus de 550 campements illicites ont été évacués. Les campements illicites des gens du voyage, personnes dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles qui sont pratiquement tous français, ont représenté plus des 2/3 des évacuations et un peu plus de 80 % des personnes concernées » pouvait-on lire dans le document transmis lundi à Bruxelles et révélé par l'AFP.
Ces justifications n'émeuvent pas grand monde. Le ministre Besson a reçu un courrier du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Ce dernier demande à la France « d'améliorer la situation des migrants », et en particulier des demandeurs d'asile : « dans la pratique, des demandeurs d'asile continuent à être hébergés dans des conditions indignes ou précaires » ajoute-t-il. « le recours à la rétention apparaît comme trop fréquent.» Le commissaire fustige également le projet de loi sur l'immigration qu'Eric Besson doit présenter au Parlement la semaine prochaine : « beaucoup de propositions de modifications sont un retour en arrière ». Ainsi, « le pouvoir qui serait donné aux préfets d'interdire de l'espace Schengen un migrant pour une durée de trois ans risque de soulever des questions de conformité avec la Convention européenne des droits de l'Homme. » Rien que ça !
Théoriquement, le ministre des affaires étrangères devrait être en première ligne pour répondre à ces critiques internationales. Mais Bernard Kouchner est complètement hors jeu. En porte-à-faux systématique, il se traîne aux côtés de son patron quand celui-ci daigne l'inviter en voyage. Il a songé à démissionner, mais il est resté. Quand Sarkozy prétend qu'Angela Merkel lui a confié vouloir expulser à son tour des roms hors d'Allemagne, il dément avoir entendu parler d'un tel projet. Maigre consolation, le ministre avait accompagné Sarkozy à New York, lundi dernier. Malgré ses bourdes en cascade, il a eu droit à un hommage du président français à la tribune de l'ONU, ce dernier lui attribuant la paternité de l'idée d'une taxe sur les transactions financières pour financer le développement.
L'autre animateur de la surenchère estivale sur les roms, l'immigration et l'insécurité, Brice Hortefeux, a trouvé un nouveau dada, la lutte contre le terrorisme, pour divertir et effrayer l'opinion. Il a filé mardi soir au Mali. La récente capture de 5 otages Français au Niger (maintenant détenus au nord du Mali) alimente l'inquiétude. Mais même la presse doute des intentions du ministre. A force d'effrayer, Hortefeux a provoqué nombre de fausses alertes à la bombe un peu partout en France. Plus surprenant, les responsables du renseignement et de la police s'expriment publiquement sur le sujet. Après Bernard Squarcini, ce weekend, ce fut au tour de Frédéric Péchenard, mercredi, de confirmer « qu'il y a un risque d'attentat important.» Et le directeur de la Police Nationale d'expliquer que la France faisait face à un « pic de menaces» « incontestable.»
Fisc, bouclier et légions d'honneur
En Sarkofrance, on a la Légion d'honneur facile, surtout pour renvoyer des ascenseurs, fussent-ils honorifiques. Ainsi, vendredi dernier, le ministre roumain des affaires étrangères a eu droit à son hochet républicain, une légion au grade de Commandeur, remise à Bucarest par Henri Paul, l'ambassadeur de France en Roumanie. « Combien nous coûtera cette légion d'honneur ? » s'inquiétait un quotidien roumain.
Mieux, on découvre aujourd'hui que Nicolas Sarkozy lui-même a décoré son « ami Guy » Wildenstein, grand donateur du Premier Cercle, membre éminent de l'UMP, et ... accusé par sa belle-mère veuve de son père d'avoir détourné l'essentiel des 4 milliards d'euros de la fortune familiale dans des paradis fiscaux. Comme par hasard, les ministres du Budget Woerth et Baroin sont restés sourds aux demandes écrites de Mme Wildenstein.
Eric Woerth, lui, croit savoir que Sarkozy compte toujours sur lui, même s'il reste empêtré dans son affaire Bettencourt. Liliane Bettencourt, justement, régularise, paraît-il, sa situation fiscale. On ne nous parle que des comptes « évadés » ici ou là, mais pas de son optimisation fiscale qui lui a permis de se faire rembourser 30 millions d'euros par an malgré 220 à 250 millions d'euros de dividendes annuels ! Concernant la fraude, il faut suivre à la trace les chemins tortueux d'une partie de la fortune de la milliardaire, découverts en Suisse par Patrice de Maistre quand il devint sa gestionnaire de fortune. Au début de l'année 2010, Eric Woerth était encore ministre du budget, Florence Woerth travaillait toujours chez Clymène, la société de gestion de fortune de Mme Bettencourt, et ... 10 millions d'euros furent transférés à Singapour selon l'Express. Le reste des sommes « déposées » en Suisse s'élevait à environ 70 millions d'euros...
Dans une autre affaire de gros sous et petits copinages, Christine Lagarde s'abstient de commenter les 220 millions d'euros qu'empochera Bernard Tapie en règlement de son litige avec le Crédit Lyonnais.
François Fillon, partant mais pas encore parti, s'est permis quelques nouvelles promesses de rigueur ... pour 2012 : dans deux ans, les niches fiscales seront réduites de 12,5 milliards d'euros. Baroin, lui, compte ses sous et ses niches fiscales. Mardi soir sur Canal+, il a promis l'équilibre budgétaire pour 2016. Jamais, a-t-il rappelé, la France n'avait été contrainte à un tel effort de rigueur - un terme qu'il récuse pourtant. Il a rapidement détaillé ses sources d'économies : 7 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires, autant d'économies sur le budget de l'Etat, 10 milliards d'euros sur les niches fiscales, etc... Le problème est que les prévisions de croissance par le gouvernement sont une nouvelle fois jugées très optimistes. Un économiste de Natixis, cité par le blog Contes Publics, s'interroge: « Ce qu’en revanche je ne comprends pas tout à fait, c’est l’obstination à afficher des objectifs [sur le déficit] assez irréalistes en l’état actuel des choses, posture qui pourrait s’avérer à terme contre-productive vis-à-vis de l’opinion publique et des marchés ».
La ministre de la Santé doit elle aussi travailler sa copie budgétaire. Roselyne Bachelot se préparait à la nouvelle campagne de vaccination anti-grippe. Le fiasco du plan anti-grippe A de l'automne 2009 est encore dans toutes les mémoires. Mais les prévisions de réductions de coûts sur le budget de l'assurance maladie, révélées la semaine dernière, ont provoqué un tollé anticipé. Et voici qu'un baromètre annuel rappelle combien la crise a des répercussions dramatiques sur l'accès aux soins : 23% des Français sondés ont déclaré avoir renoncé à des soins pour des raisons budgétaires. Leur proportion était de 11% dans le baromètre précédent en 2009. 58% estiment que le financement public de la santé est insuffisant, mais seuls 32% accepteraient une hausse des cotisations ou des impôts.
Retraites : les femmes s'imposent
Au final, la réforme des retraites reste, à cet égard, emblématique pour Nicolas Sarkozy. Le président français compte beaucoup dessus pour rassurer les marchés financiers sur sa capacité à réduire la dépense publique.
Ce jeudi 23 septembre, l'attention élyséenne est toute entière concentrée sur l'ampleur des manifestations et de la grève pour cette seconde journée d'action sociale depuis la rentrée contre la réforme des retraites, alors que le texte, voté de façon expresse à l'Assemblée Nationale, file au Sénat pour le 1er octobre. Sarkozy tente de fissurer le front syndical. Ses proches croient deviner des tensions ici ou là entre les différentes centrales. Plutôt que d'ouvrir des négociations, on privilégie la division du camp adverse.
La question des femmes s'est imposée ces derniers jours. La réforme Sarkozy/Woerth aggrave la situation des mères de familles aux carrières morcelées. Même à l'UMP, ça grince. Qu'importe ! Le gouvernement résiste. Mercredi encore, Sarkozy a fait savoir, à l'issue du conseil des ministres, qu'il n'était pas question de créer des cas particulier. La moitié de la population française appréciera.
Ami sarkozyste, as-tu ta légion ?
Crédit illustration: Patrick Mignard