Quand les gars de Fucked Up – vainqueurs en 2009 – ont annoncé le nom du groupe québécois sur la scène du Masonic Temple, lundi soir, le claviériste François Lafontaine a bien résumé le sentiment général avec une réaction empreinte de stupéfaction.
Une demi-heure plus tard, devant le gratin des représentants des médias canadiens, les Québécois étaient toujours aussi hébétés – mais ravis – de cette consécration.
«C’est un rêve», a dit Lafontaine, y allant d’un «ppfffffttt!!» bien senti qui voulait tout dire à un représentant de la télévision.
Dans leur anglais approximatif mais plein de bonne volonté, les gars ont expliqué trois fois plutôt qu’une le sentiment de satisfaction qu’ils ressentaient.
«Ça représente beaucoup pour nous, note le chanteur et guitariste Louis-Jean Cormier. C’est la première fois que l’on remporte quelque chose hors du Québec, en plus dans une région qui n’est pas francophone. Ça prouve que tu peux arriver à jouer partout dans le monde quand tu as un langage musical.»
Collectivement, les membres de Karkwa espèrent que ce triomphe inattendu démontre à quel point la barrière de la langue est une chose somme toute relative quand on parle de musique.
«Nous, ce qui nous préoccupe, c’est l’album, explique le batteur Stéphane Bergeron. C’est la musique qui prend le dessus sur tout.»
«On écoute des tas de groupes qui chantent partout dans le monde dans leur langue, renchérit Lafontaine. On a beaucoup parlé de la scène montréalaise depuis quelques années, mais nous, on représente la scène montréalaise francophone ainsi que celle du Québec.»
Nouveaux horizons
«Au départ, on fait notre musique au Québec. On a aussi visité la France, la Belgique, les marchés francophones. Là, on réalise qu’il y a peut-être autre chose. Une tournée dans l’Ouest, peut-être même aux États-Unis, est possible, note Cormier. On a un calendrier bien garni dans les prochains mois, mais on s’était donné de l’espace entre les spectacles. On peut s’ajuster si on en a envie.»
Relativement à la bourse considérable de 20 000 $ qui se rattache au prix, les gars de Karkwa ont blagué en disant qu’ils allaient se chercher un gérant de tournée – tâche dévolue d’ordinaire à Bergeron –, mais ils ont surtout dit que ça n’allait rien changer sur le plan de l’approche musicale.
«L’argent change rien, assure Lafontaine. On fait la musique que l’on veut, comme on le veut et quand on veut.»
N’empêche, en 40 ans, jamais les Junos n’ont couronné un ou une artiste francophone pour un album en français dans la catégorie «Album de l’année». Céline Dion l’a remporté trois fois, chaque fois pour un disque en anglais. Cela aura pris seulement cinq ans au prix Polaris pour récompenser un groupe francophone. Prix historique, finalement?
«C’est peut-être un constat un peu triste, note Cormier. Nous, on chante en français, on pense en français, on ne fait pas de politique. Si on est des précurseurs, si on est les premiers à s’imposer en français au Canada anglais, tant mieux. On espère paver la route pour les autres, mais on ne veut pas prendre un flambeau et dire… Bref, on va rester humbles avec ça.»
Cela dit, les gars souhaitent que les mélomanes de toute allégeance écoutent des artistes francophones. Lafontaine a d’ailleurs résumé en une phrase-choc le message qu’un journaliste anglophone lui demandait de passer à son public : «Achetez l’album!»
Voilà. C’est dit.
Écrit par Philippe Rezzonico, Rue Frontenac, le Mardi, 21 septembre 2010