D'abord parce qu'on se demande égoïstement pourquoi on nage à contre-courant de la majorité des humains, matérialistes, carrieristes et raisonnables eux, dans leurs choix personnels.
Ensuite, lorsque l'on se prend en permanence des bûches dans les pattes pour nous empêcher de faire convenablement notre travail, ici en France ou là bas en Inde, il y a comme un certain ras le bol qui s'accumule et fait déborder le trop-plein. Certaines bûches sont plus douloureuses que d'autres à mon goût, particulièrement les françaises que je juge plus
Et toujours, dans ces moments de doute, il y a les paroles de la vieille directrice de cet orpheu de Calcutta qui me reviennent dans les oreilles, qu'elle avait prononcé alors que nous évoquions ensemble avec philosophie et fatalité la marée de galères et de scandales en tous genres. Elle avait conclu de cette façon :
"the little that we can do for a few kids, let's do it the best we can, since it is always better than nothing."
Si j'étais chevalière avec un bouclier portant mes armoiries, voilà la phrase que je mettrais dessus pour symboliser notre acharnement. Chaque enfant vaut la peine de cette lutte, car je sais trop bien ce que réserve l'Inde à ceux qui n'ont pas eu la chance de d'être protégés par une famille, une fois adulte. Et même si nos efforts correspondent au tiers du quart du cinquième du centième des efforts d'un OAA capable de "faire" une cinquantaine d'adoptions à l'année les doigts dans le nez avec un pays fiable et qui dépote, qu'importe. Un enfant adopté est une victoire, and it is always better than nothing et ça aura valu tous nos efforts.
C'est drôle, j'ai cité cette phrase dans un email il y a qqs minutes (à une heure du mat, y a pas d'heures pour mes chevauchées héroïques...) à l'adjointe de cette même vieille directrice, découragée ces temps-ci par toutes les galères qu'elle rencontre en Inde face aux bureaucraties... L'arroseur arrosé, cela m'a presque fait sourire... Plus le temps passe, plus je réalise qu'une partie de mon taf consiste en coacher les orpheux découragés eux aussi, surtout en ce moment... Le plus dangereux est de se sentir seul dans ces moments de découragement, alors je coach si je sens le spleen venir chez un de mes partenaires, ou alors au contraire je partage avec mes collègues français si je me sens moi meme douter, pour mieux repartir au combat.
Se battre, se battre, encore et encore, en se préservant aussi pour ne pas s'épuiser de passion ou de déceptions, mais en continuant la lutte, coûte que coûte, contre l'absurdité qui empêche les enfants de vivre avec leur famille.
illustration : un bouclier indien of course !