![Une éblouissante Missa In myne zyn d'Alexander Agricola par la Capilla Flamenca jheronimus bosch saint jean evangeliste patmos](http://media.paperblog.fr/i/365/3650477/eblouissante-missa-in-myne-zyn-dalexander-agr-L-1.jpeg)
Jheronimus van Aken, dit Bosch
('s-Hertogenbosch, c.1450-1516),
Saint Jean l’Évangéliste à Patmos, après 1489.
Huile sur panneau de chêne, 63 x 43,3 cm,
Berlin, Staatliche Museen.
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En 1998, un enregistrement fondateur du Huelgas Ensemble (récemment réédité au sein d’un indispensable coffret) avait attiré l’attention des amateurs de musique tardo-médiévale sur un compositeur qui vécut à la même époque que les plus célèbres Johannes Ockeghem (c.1420-1497) et Josquin des Prez (c.1450-1521), Alexander Agricola. Depuis, peu de disques se sont inscrits dans ce sillage qui ne laissait, il est vrai, rien ignorer des problèmes que pose l’interprétation d’œuvres particulièrement exigeantes. Il est d’autant plus réjouissant de voir paraître aujourd’hui, chez Ricercar, l’intégralité de la Missa In myne zyn servie par l’excellente Capilla Flamenca, un des meilleurs ensembles spécialisés dans ce répertoire.
Jusqu’à une date récente, la vie d’Alexander Agricola demeurait, à l’instar de celle de nombre de musiciens de la fin du
Moyen-Âge, assez obscure. On doit aux musicologues Fabrice Fitch et Rob C. Wegman d’avoir exhumé des documents d’archives qui nous en apprennent un peu plus. On sait maintenant que notre
compositeur est né à Gand, sans doute vers 1456, et non en 1446 comme on le pensait auparavant, sur la foi du texte de la lamentation Musica, quid defles ?, attribuée par certains
à Juan de Anchieta (c.1462-1532) et publiée en 1538, indiquant qu’il était mort à l’âge de 60 ans. Agricola est l’enfant naturel de Lijsbette Naps (morte en 1499), une femme d’affaires avisée,
et d’Heinric Ackermann, un individu ayant trempé dans des tractations financières louches, dont le musicien choisit néanmoins, en le latinisant, de porter le nom (Ackermann et Agricola
signifient tous deux « paysan »). Ses parents ne se marièrent pas et il semble que c’est la mère qui pourvut seule aux frais de l’éducation de ses deux fils, Alexander et Jan, ce
dernier étant sans doute le chantre dont on trouve la trace à 's-Hertogenbosch au cours des décennies 1480-1490.
La Missa In myne Zyn (« Dans mon esprit »), fondée sur une chanson populaire dont la mélodie ne s’entend d’ailleurs clairement que de façon très sporadique au cours de la Messe, doit probablement être située dans la période bourguignonne, l’ultime phase d’activité d’Agricola. Même incomplète (son Kyrie est perdu), elle apporte une parfaite illustration du degré de raffinement et de complexité atteint par sa musique, dans laquelle on ne décèle, en dépit des séjours qu’il y effectua, aucune influence italienne. L’invention du compositeur, à l’image de celle d’un Jheronimus Bosch dans le domaine de la peinture, est foisonnante, car il utilise sa parfaite maîtrise du contrepoint pour développer un style extrêmement libre, où les surprises abondent. Son traitement très individualisé des lignes vocales, son extraordinaire capacité à varier les rythmes et les mélodies en usant de répétitions ou d’imitations, détonnent dans le paysage musical de son époque, se situant dans une dimension autre, par exemple, que la fluidité et la retenue cultivées son compatriote et exact contemporain Obrecht (1457/58-1505) ou la clarté toute « classique » de Josquin. Les mêmes qualités de fantaisie se retrouvent dans les autres œuvres proposées sur ce disque qu’il s’agisse des chansons, des motets ou des pièces dont on peut estimer qu’elles ont été conçues pour une exécution instrumentale.
Aux amateurs de musique de la fin du Moyen-Âge comme à ceux qui souhaiteraient découvrir Agricola dans des conditions proches de l’idéal, je conseille chaleureusement cet enregistrement de la Missa In myne Zyn. Il confirme l’excellence d’un compositeur dont on espère découvrir un jour les sept autres messes aussi magnifiquement interprétées qu’ici, et celle de la Capilla Flamenca qui démontre, disque après disque, que la musique ancienne peut-être une réalité aussi vivante qu’émouvante.
Capilla Flamenca
Dirk Snellings, basse & direction
1 CD [durée totale : 59’49”] Ricercar RIC 306. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. In minen sin, chanson
2. Missa In myne Zyn : Sanctus
3. Pater meus agricola est
Illustrations complémentaires :
Petrus Christus (Baerle, c.1410/20-Bruges, 1472/73), Un orfèvre (Saint Éloi ?) dans son atelier (détail), 1449. Huile sur bois, 98 x 85,2 cm, New-York, The Metropolitan Museum of Art.
La photographie de la Capilla Flamenca est de Miel Pieters. Je remercie Lena Dierckx de m’avoir autorisé à l’utiliser.
Le site de la Capilla Flamenca peut être visité en suivant ce lien.