Dès le réveil le coq arbore un œil de chef d’orchestre allemand sur un torse de ténor italien. On dirait que le soleil lui doit quelque chose. Il est vrai que ses pendeloques valent bien la petite oie d’un marquis, son plumage le harnachement de monsieur Jourdain, ses ergots les éperons d’Aramis : avec tant d’attributs, la modestie serait un vice. Le coq, c’est le paon du peuple.
Celui des voisins jadis picorait de-ci de-là parmi ses dames, surtout nourri de considération. On sentait bien que du lever au coucher sa grande affaire était triple, avec dans l’ordre croissant d’importance : l’effarouchement du chien, le claironnement du cri et le service des poules.
C’était pitié de voir Soltan, ce gros corniaud de berger qui pouvait briser le volatile d’un coup de patte, faire le grand tour, la tête basse et l’œil en coin, pour regagner sa niche. Mystère de l’autorité. Si cela ne tient ni à la corpulence ni à la persuasion ni à l’établissement, d’où vient ce je ne sais quoi d’impérieux, confusément diffus par tout l’être, qui en impose d’instinct ? Certains le nomment testostérone : trop vite, à mon avis, puisque le chien Soltan en avait aussi (ne donnant pas en ce domaine sa part au chat) ; et qu’inversement l’oie Bamboche, sifflante comme quatre alors qu’elle n’en avait pas, faisait filer droit le facteur : en avait-t-il ?
Le chant du coq a pour noblesse d’avoir trois fois épinglé Pierre dans l’Histoire sainte. Et ne dites pas que ce cri donne l’heure : c’est n’importe quand ; ou qu’il relève de l’expression artistique : le cocorico est aussi mécanique que le hi-han. Cela vaut-il de tant se hausser, se gonfler, se donner le branle ? Qui osera dire au coq que son opérette lasse depuis Edmond Rostand, et qu’à bout de nerfs on finira par se le faire au vin ? Sur l’Arche il fatigua la compagnie en annonçant quarante fois par jour -soit en tout mille six cents !- un soleil qu’on ne voyait jamais. L’émeu en était tout retourné, l’unau en perdit le sommeil. Noé ne dut qu’aux sermons du savant Hrodbehrt la force de ne pas plumer cette volaille.
Trêve de tergiversations sur l’œuf et la poule, et lequel a précédé l’autre : au commencement était le coq. On ne sait si « la femme est l’avenir de l’homme » ; le coq, c’est sûr, est le présent de la poule, mais toujours à l’impératif : ses désirs sont des ordres.
Enfant, je mis d’abord sur le compte d’un caractère détestable sa fureur à bondir sur les pauvrettes pour un oui pour un non, ébouriffé et leur piquant la tête. J’entrepris un jour de porter secours aux petites pondeuses qu’il laissait à peine picorer et qui perdaient des plumes à chaque assaut. Le paysan me surprit armé d’une badine en train de pourchasser l’intempestif volatile.
-Eh mon gars, si tu chasses leur coq, c’est les poules qui seront pas contentes !
-Il les attaque toujours.
Je ne compris rien aux explications goguenardes du fermier : qu’il ne fallait pas se fier aux poules, avec ou sans plumes ; qu’elles ont bien du plaisir en se donnant l’air d’avoir mal. La gêne de ma grand-mère, quand je lui rapportai ce propos, son doute qu’il existât des poules sans plumes, achevèrent de m’embrouiller.
Arion
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Proverbe du jour : Tant va la poule au coq, qu’elle finit sur les dents.