J’ai souvent écrit, dans ces lignes, que l’Économie n’était pas une science, incapable qu’elle est de faire des prédictions (et non pas des hypothèses) vérifiables et falsifiables. Forte d’explications sur le passé, l’Économie n’a jamais su anticiper les évolutions économiques de la société et du monde. Bien entendu, les formulations « scientifiques » des économistes s’appuient sur des hypothèses, comme les mathématiques s’articulent sur des axiomes. Or, parmi ces hypothèses, l’une d’entre elles est l’existence d’un consommateur ou d’un producteur type agissant rationnellement dans ses choix. Tout le monde sait bien que l’acteur type est un fantasme et que la rationalité du choix est un leurre. Conscients de cette défaillance dans la théorie, les économistes se lancent aujourd’hui dans une nouvelle voie, celle qui s’intitule neuroéconomie. La neuroéconomie se veut au croisement de l’économie et des sciences cognitives, en voulant prendre en compte les facteurs cognitifs et émotionnels dans les mécanismes de prises de décision concernant les choix d’investissements, de placements et d’emprunts, d’achat, de production, de stratégie d’entreprise. Cette neuroéconomie a la prétention de prendre en compte les réactions et le fonctionnement du cerveau, en utilisant les résultats de l’imagerie médicale qui permet de repérer les zones cérébrales activées au moment des prises de décision (sic !!). L’objectif est d’obtenir un hypothétique modèle du comportement des acteurs. C’est-à-dire que les économistes, conscients de la faiblesse du principe de rationalité de comportement d’un acteur type, cherchent à le remplacer par un modèle de comportement d’un cerveau type ! Peut-on parler d’un progrès ? Ne passe-t-on pas d’une utopie à un mirage ? Il y a une explication à ce subit intérêt des économistes pour les neurosciences. Nous ne sommes pas prêts d’oublier les conséquences des comportements inqualifiables des acteurs financiers qui ont conduit le monde dans une crise dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences. Or, parmi ces acteurs, il y a les traders, dont Jérôme Kerviel est devenu l’emblématique représentant. Les économistes focalisent leurs recherches en essayant de créer un trader type, en s’interrogeant sur les motivations conduisant aux choix réalisés par cet acteur. Lorsqu'on mesure l'activité cérébrale d'un individu qui doit décider de vendre ou d'acheter un titre en Bourse, on observe la mise en jeu de différentes zones du cerveau actives également lors d'autres circonstances émotionnelles de la vie. Ce sont ces observations que les économistes veulent utiliser pour, une fois de plus, expliquer le passé ! Je parie, sans risque, que cette entreprise est vouée à l’échec. Et cela pour une raison simple. Remplacer 6 milliards d’individus par un individu type était déjà une gageure. Remplacer 100 milliards de neurones par individu par un cerveau type est une utopie sans issue. À la simplification outrancière des processus économiques va s’ajouter une schématisation grossière du fonctionnement cérébral.