How I Met Your Mother vs Friends

Publié le 22 septembre 2010 par Godsavemyscreen

Si les années 80 virent exploser le nombre de comédies familiales sur le petit écran – sujet de prédilection, encore aujourd’hui, des sitcoms et autres comédies télévisées américaines - les années 90, marqués par le succès de Friends, firent les beaux jours de la comédie amicale. Si Friends ne fut pas la première comédie à explorer les relations d’un groupe d’amis - on peut notamment citer l’incontournable Happy Days (1974), son spin off Laverne et Shirley (1976), Three’s Company (1977, inédite en France), Cheers (1982) ou encore Sauvés par le Gong (1989) -, elle s’imposa rapidement comme la « buddy sitcom » de référence, s’exportant dans le monde entier et rassemblant en moyenne 26 millions de spectateurs par semaine (52,5 millions lors de la diffusion du dernier épisode, le 6 mai 2004).

Seule comédie amicale qui soit véritablement parvenue à s’imposer depuis le raz-de-marée Friends, How I Met Your Mother, créée par Carter Bays et Craig Thomas et diffusée depuis 2005 sur CBS, incite inévitablement à la comparaison avec son aînée. Comment les deux séries se sont-elles attachées à mettre en scène les aventures et les déboires d’un groupe d’amis installés à New-York ? Qu’ont-elles en commun, et qu’est-ce qui les sépare ?

Toutes deux inspirées de la jeunesse de leurs créateurs respectifs – le personnage de Ted est largement inspiré de Carter Bays, tandis que Lily et Marshall incarnent sur les écrans le couple formé à la ville par Craig Thomas et sa femme Rebecca, celle-ci ayant d’ailleurs accepté à la seule condition que son personnage soit interprété par Alysson Hannigan -, How I Met Your Mother et Friends reprennent toutes deux les recettes éprouvées des comédies amicales. Si les personnages ne sont pas développés de manière totalement identique, on y retrouve cependant peu ou prou les mêmes schémas : une nouvelle venue au sein du groupe d’amis (Rachel pour Friends, Robin pour HIMYM), un couple à priori inébranlable (Chandler et Monica / Lily et Marshall), un couple qui ne cesse de se chercher à travers les épisodes et les saisons (Rachel et Ross / Robin et Ted), une histoire d’amour longtemps considérée comme totalement improbable (Rachel et Joey / Robin et Ted), un séducteur invétéré mais incapable de construire une vraie relation (Joey / Barney)…

Une différence notable toutefois, dans la position individuelle de chaque personnage au sein du groupe : alors que Friends est parvenue à s’imposer tout au long des dix saisons comme un véritable « ensemble show », aucun personnage n’étant mis en avant au détriment d’un autre, How I Met Your Mother repose en grande partie sur le charisme de Barney. Qu’il s’agisse d’une volonté ou d’un écueil, le fait est que sans les frasques de ce personnage particulièrement savoureux, la série paraît difficilement viable. Par ailleurs, l’une comme l’autre ont recours aux flashbacks pour explorer le passé, souvent tourmenté, de leurs personnages : la mère de Phoebe s’est suicidée lorsqu’elle avait 13 ans, le père de Chandler est transsexuel, Monica a longtemps souffert de son obésité ; quant à Robin (HIMYM), ce n’est que contrainte et forcée qu’elle finit un jour par révéler sa carrière précoce de teenage pop star, expliquant ainsi sa phobie des centres commerciaux par le succès de son tube : « Let’s go to the mall »…

Prétexte à rire, le passé permet aussi d’aborder des sujets plus difficiles : enfants de divorcés, de parents marginaux, abusifs ou dépressifs, les personnages de How I Met Your Mother comme de Friends peinent à trouver leur place dans le monde, reconstituant avec leur groupe d’amis la cellule familiale qu’ils n’ont, pour certains, jamais connue. Pas de grande avancée dans les thèmes abordés par How I Met Your Mother, Friends ayant déjà abordé nombre de sujets plus ou moins tabous par le biais de l’humour ; quant au traitement de ces thèmes, la plus récente des deux paraît globalement plus libérée, sans toutefois aller jusqu’à bousculer l’ordre établi : comme toute série produite et diffusée par un network américain, How I Met Your Mother est soumise aux règles très strictes de la FCC (équivalent du CSA) en matière de langage et de nudité. Mais à la différence de Friends, la série de Bays et Thomas ne cesse de jouer avec les codes de la censure. Ainsi, outre que la bande d’amis se retrouve désormais au pub pour boire des pintes et non plus du café, outre que le sexe est ouvertement présent dans les dialogues et dans l’action, la consommation de haschich est illustrée par une scène montrant Ted et Marshall attablés autour d’un « sandwich qui fait rire », tandis que tout un épisode – épisode de Noël, qui plus est – tourne autour de l’insulte de Ted envers Lily : « bitch » est ici remplacé par « grinch », qui est également le nom d’un héros de livre pour enfants dont l’action se déroule pendant les préparatifs de Noël.

Car tout l’intérêt – à mon sens, du moins – de How I Met Your Mother réside dans son procédé narratif : nous ne sommes pas les destinataires directs du récit, conté en réalité par Ted à ses enfants en l’an 2030. Procédé qui justifie le ton parfois très politiquement correct – impossible, en effet, de tout raconter à ses propres enfants – et le recours à une construction bien moins linéaire que celle de Friends : flashbacks, flashforwards, recours au split screen, croisements, commentaires du narrateur, contribuent à donner un rythme et un souffle nouveaux à un genre par ailleurs très codifié. Une bouffée d’oxygène que vient renforcer le choix du dispositif à une caméra : à la différence de Friends, sitcom traditionnelle filmée avec plusieurs caméras fixes et enregistrée en studio et en public, chaque épisode étant tourné d’une traite après plus d’une semaine de répétitions, How I Met Your Mother est ce qu’on appelle aux Etats-Unis une « single-camera comedy ». Plus proches du cinéma que du théâtre, ces comédies – présentes depuis les années 60 -, utilisent un dispositif plus souple : un seul cadreur mobile, un tournage en studio sans public (ce n’est qu’après le montage que l’épisode est diffusé à un public, et c’est seulement à ce moment que les rires sont enregistrés), et par conséquent davantage de souplesse dans la mise en scène, des scènes en extérieur plus nombreuses, des décors plus complexes et une cadence de vannes souvent moins effrénée.

Bien plus que sur le fond, qui malgré une certaine libération des mœurs et un plus grand cynisme – pas de happy end, par exemple, sur le plan financier et professionnel pour les personnages de HIMYM – n’est guère engagé plus loin que Friends ne l’avait fait en son temps, c’est sur le plan formel, scénaristique et narratif que sont à chercher les innovations de How I Met Your Mother. Même si là encore, il convient de relativiser, et de ne pas oublier l’impact, tant sur le plan formel que sur celui du contenu et pour ne parler que de ces dix dernières années, de comédies comme Malcolm in the Middle (2000) ou Arrested Development (2006).

****

Quelques mots enfin pour vous signaler que l’ami Joey, auteur du blog 720 lignes , nous fait désormais cadeau de deux blogs : si 720 lignes , malgré son récent déménagement, poursuit son très précieux travail d’investigation et de recensement des séries de la nuit des temps aux années 90, Joey œuvre désormais également sur Libération : Des séries et des hommes , son nouveau blog, se penche sur l’étude des figures et des concepts sans cesse réactualisés, l’actualité des séries étant prétexte à retracer l’historique d’un thème, d’une situation, d’un archétype. On y découvre un tas de choses, on y apprend beaucoup et, Joey au clavier oblige, on se marre tout autant. Ce qui, vous en conviendrez, ne gâche rien.