Rousseau est déiste. C’est par le spectacle de la nature qu’il entend apprendre à Emile l’existence d’un Dieu ordinateur de la nature, créateur, “suprême horloger” pour reprendre l’analogie consacrée.
Dès lors, tout ce qui est dans la nature a une raison, un sens. Les différences entre hommes et femmes trouvent ainsi très facilement une justification : ils ne sont pas “destinés” aux mêmes tâches, ne sont pas orientés en vue des mêmes fins.
Mais si l’on change la proposition de départ, la conclusion s’en trouvera elle aussi modifiée. Ainsi, si on découvre que la plupart des différences entre hommes et femmes ne sont pas naturelles mais culturelles, car liées à l’éducation, on reconnaît que les natures féminines et masculines sont identiques et que, dès lors, leurs “destinations” sont les mêmes !
Une seule différence reste naturelle : la femme accouche, pas l’homme. Mais cela ne veut pas dire que l’homme ne se reproduit pas… Jusqu’à preuve du contraire, la femme ne se féconde pas toute seule ! Et l’homme est père au même titre que la femme est mère (il faut dire, à ce sujet, que Rousseau a une vision de la paternité un peu restreinte : “[la femme] sert de liaison entre [les enfants] et leur père, elle seule les lui fait aimer et lui donne la confiance de les appeler siens”).
Mais admettons que la manière de se reproduire marque une “différence” fondamentale. On aura compris que du constat de cette différence physiologique à l’affirmation que la femme a pour “fin” d’enfanter, il n’y a qu’un pas… Et il serait presque logique que Rousseau en arrive à cette conclusion. Et il le fait : “c’est à celui des deux que la nature a chargé du dépôt des enfants d’en répondre à l’autre”.
Mais c’est aussi une autre fin qu’il assigne à la femme, celle de “plaire à l’homme”. Sur quelle différence naturelle entre homme et femme base-t-il l’attribution d’une telle fin ? De ce que “l’un (l’homme, NB) doit être actif et fort, l’autre passif et faible “. Affirmation lapidaire, péremptoire et qu’aucun exemple ni aucune démonstration ne vient appuyer ! Comme s’il s’agissait là d’une évidence incontestable…
Les femmes ont prouvé depuis, et prouvaient déjà au 18e s., qu’elle n’étaient pas nécessairement passives et faibles. La multiplicité des figures féminines que nous avons passé en revue le prouve assez.
Et même si la femme était passive et que l’homme était fort, en quoi y aurait-il nécessité, pour elle, à lui plaire ?
Le raisonnement de Rousseau me semble manquer de rigueur, en plus de reposer sur des pseudo-évidences qui sont autant de préjugés.