Décidément, rien n'est simple pour Mickie Katz. Il faut dire qu'avec le boulot pour le moins insolite qu'elle exerce, ça ne doit pas être facile tous les jours. Bosser pour un cabinet immobilier en tant que décoratrice, c'est une chose, mais exercer ses talents pour l'agence 13 c'est une autre paire de manches. Surtout quand on sait que cette dernière est spécialisée dans la restauration de sites où se sont déroulés des crimes. Des contrats juteux sont bien sûr à la clé mais à bien y regarder, pas mal de déconvenues aussi, car ces lieux, outre leur caractère particulier, peuvent aussi se révéler le terreau de bien des excentricités. Mickie en a fait les frais lors de sa première mission, relatée dans Dortoir interdit.
Cette fois-ci, les choses ne s'annoncent guère mieux. Envoyée dans un village paumé du Montana, Mickie est chargée de concevoir les plans d'un futur parc de loisirs à l'endroit même où avait été perpétré un génocide sur la population indienne locale. La tâche aurait pu être aisée, enfin, plus facile disons, si les habitants n'avaient pas vécu dans une quasi-autarcie où, sous le masque de la prévenance, de la courtoisie et d'une certaine ouverture d'esprit s'exprimait en fait la peur, la colère, la déraison. Car ce n'est pas rien après tout, si chaque citoyen de cette petite bourgade accepte d'être la cible potentielle d'un archer caché dans la forêt avoisinante, et si shérif et maire ne semblent pas remettre en cause cette tradition, voire même de la cautionner au nom d'une expiation quelconque.
Je n'en dis pas plus. J'en ai peut-être déjà trop dit mais au moins le décor est planté. Juste planté car ce n'est rien en comparaison de l'ampleur que l'histoire va lui octroyer. Sous la plume de Serge Brussolo, on ne sait pas à quoi s'attendre, et s'il y a effectivement chez lui des constantes d'une histoire à l'autre, cela n'enlève en rien à l'originalité de Ceux d'en bas. Car ce décor, cette succession de décors même, qui ponctue le livre, représente à lui seul un personnage, lequel suscite tour à tour la peur, l'angoisse, l'appréhension mais aussi la curiosité et l'émerveillement.
Et les êtres de chair et de sang dans cette histoire ? Ils sont toujours aussi énigmatiques et humains chez Brussolo. C'est à dire qu'ils ne sont jamais ni tout à fait lisses ni tout à fait propres mais en proie à leurs tourments, assujettis à leurs zones d'ombres et à leurs pulsions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. La particularité dans Ceux d'en bas, c'est qu'ils sont aussi soumis au bon vouloir de l'auteur qui les balade en bateau, de faux-semblant en trompe l'œil, et cela contribue grandement au plaisir de lecture.
L'idée des Dortoirs inhabitables n'est pas jeune. Une première édition aurait déjà pu avoir lieu il y a plusieurs années mais, tractations contractuelles obligent entre les éditions Fleuve noir et Serge Brussolo, celle-ci n'avait pu se concrétiser. Mais plutôt que de partir dans d'obscures comparaisons entre ce qui aurait pu être et ce qui est, je me dis que le fruit de mes lectures du premier et deuxième volume de cette série ne laisse en tout cas la place à aucun regret.
Les Dortoirs inhabitables 2, Ceux d'en bas / Serge Brussolo, Fleuve noir, 288 p.