Ils ont tout faux : ils n’ont parlé que d’une réforme portant sur l’âge de la retraite ou la pénibilité, et ils n’ont pas envisagé une seconde de mettre en cause le système actuel par répartition, ni de s’interroger sur les perspectives du système par capitalisation.
Je remercie Le Figaro (15 septembre) d’avoir publié mon article intitulé « Retraites : et si on écoutait les Français ? ». Cet article commente un sondage réalisé par l’IFOP à la demande de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales) dont je suis administrateur.
L’IFOP a posé la question suivante : « Aujourd’hui dans le système par répartition, si vous êtes en activité, vos cotisations sont entièrement utilisées pour payer les pensions des retraités actuels. Si vous aviez la possibilité de mettre une partie de ces cotisations retraites dans un compte épargne retraite personnel par capitalisation, le feriez-vous ? ».
La réponse est OUI, à 82 % des personnes sondées. Un véritable plébiscite.
Ainsi n’y a-t-il que 18 % d’inconditionnels de la répartition, et d’opposants acharnés à la capitalisation. Mais comment se fait-il que les acteurs de la réforme aient tous été des inconditionnels de la répartition, au point de n’avoir eu qu’un seul objectif, celui de « sauver la répartition »? Pourquoi se sont-ils interdits d’explorer la piste de la capitalisation ? Les assurés, eux, ne semblent pas avoir les préventions et les peurs qui animent les réformateurs.
Prétendre ouvrir le « débat du quinquennat » sans faire la moindre allusion à la transition de la répartition vers la capitalisation, à ses modalités, à ses coûts, à ses avantages pour les assurés, c’est réellement se moquer du monde, et prendre les assurés français pour des demeurés.
Car nos réformateurs ne peuvent ignorer que l’introduction et le développement de la capitalisation ont été au cœur des débats sur l’avenir des retraites dans la plupart des pays. Peu importe qu’en fin de compte la capitalisation ait été largement privilégiée (comme en Angleterre) ou simplement envisagée (comme en Italie). Toujours est-il que nille part on n’a balayé d’un revers de main ce que beaucoup d’économistes (dont je suis) considèrent comme la seule issue possible, comme la seule façon d’éviter l’explosion du système par répartition.
Lecteurs assidus et fidèles de la Nouvelle Lettre, vous connaissez les arguments qui sont développés depuis des années en faveur de la transition vers la capitalisation.
Vous auriez donc répondu OUI à la question de l’IFOP, comme 82 % des Français, parce que vous avez compris l’impérieuse nécessité de la transition de système. Mais pour les sondés qui n’ont pas vos repères, l’intérêt de ce sondage me paraît triple :
1° Les Français qui l’ignoraient savent désormais que leurs cotisations ne vont pas grossir leur patrimoine, elles ne servent qu’à régler les pensions de quelque autre.
2° Les Français apprennent qu’à l’inverse ils pourraient cotiser pour un compte qui leur soit personnel
3° Enfin, le fait que le compte épargne soit « par capitalisation » ne les fait pas fuir.
Reconnaissez que sur ces bases on pourrait déjà ouvrir le procès en béatification de la capitalisation. Mais nos réformateurs ne sont que des mécréants.
Je n’ai pas eu dans l’article l’occasion d’expliciter certaines formules, qui pourraient surprendre. En particulier, j’ai affirmé : « Distraire de la répartition une partie des cotisations retraites…ne porte aucun préjudice aux retraités actuels ». En effet les apparences sont contre cette affirmation : si les jeunes assurés ne versent pas à l’URSSAF la totalité de leur dû, cet argent va manquer dans les caisses d’assurances vieillesse, et signifiera nécessairement une diminution des pensions. La réponse facile consiste à dire que c’est le contribuable qui paiera ce que n’aura pas payé le cotisant. Ce n’est pas la bonne. Voisine, la réponse qui verrait la solution du côté d’un emprunt social : elle n’est pas bonne puisqu’elle assècherait l’épargne actuelle et pénaliserait les générations futures de contribuables.
La réponse est à chercher dans deux aspects de la transition, rarement pris en compte.
D’une part les « jeunes » cotisants auront un rendement de leurs cotisations qui sera de très loin supérieur à ce que leur promet la répartition, qui d’ailleurs vraisemblablement ne tiendra pas la promesse. Ce « bonus » représente par exemple au minimum (taux de rentabilité de 3%) 12.000 euros de pension annuelle pour un salarié ayant actuellement 24.000 euros de salaire net annuel s’il doit vivre jusqu’à 80 ans. Pourquoi dès maintenant ne pas partager une (faible) partie de ce bonus avec les actuels retraités en continuant à verser des cotisations suffisantes pour éponger les droits acquis par leurs aînés ? Cet « effort » demandé aux cotisants aujourd’hui sera plus que compensé par la rentabilité de leur placement demain. Cet effort est minime par rapport à celui qu’on ne manquerait pas de leur demander s’ils devaient ne compter que sur la répartition.
D’autre part, l’émergence d’une épargne nouvelle venue des fonds de capitalisation est de nature à accélérer la croissance, de sorte que les mêmes taux de cotisation s’appliquant à une assiette sans cesse élargie, le flux de liquidités disponibles pour les caisses de retraites est plus intense. Cet effet « boule de neige » a été observé dans les pays qui ont eu recours à la capitalisation.
Cela m’amène à souligner l’un des aspects de la transition que personne en France n’a mis en avant : le passage à la capitalisation c’est la renaissance de la responsabilité personnelle, de la gestion patrimoniale, c’est le sentiment de travailler pour soi. C’est une certitude pour l’avenir, alors qu’aujourd’hui les Français sont angoissés par des réformes dont ils pressentent – hélas à juste titre – qu’elles seront à répétition et leur apporteront des surprises de plus en plus désagréables. Vivre au jour le jour n’est pas seulement source d’inquiétudes, c’est aussi perte d’énergie et de lucidité.
Quand va-t-on parler aux Français de ce qui peut les rassurer et leur rendre du cœur à l’ouvrage ?
Article repris depuis la Nouvelle Lettre de Jacques Garello avec l’aimable autorisation de son auteur.