Le gouvernement argentin a porté plainte mardi, dans une affaire datant de la dictature militaire (1976-1983), contre les dirigeants des principaux journaux du pays, Clarin et La Nacion, qui ont dénoncé une tentative du pouvoir de les mettre sous contrôle.
« Cette nouvelle attaque est la preuve que le gouvernement a la volonté de mettre sous contrôle tous les médias qui critiquent le discours officiel », ont réagi peu après La Nacion et Clarin dans un communiqué conjoint.
Le gouvernement « viole les lois et les garanties constitutionnelles », ont-ils ajouté, en soulignant qu »aucun délit n’avait été commis dans l’acquisition de Papel Prensa ». « En 27 ans de démocratie, aucune plainte n’a été déposée à ce sujet », ont-t-il rappelé.
Le Secrétariat aux Droits de l’Homme avait annoncé auparavant avoir « porté plainte dans l’affaire du lien entre la vente illégitime de l’entreprise Papel Prensa et des délits de lèse humanité ».
Il a visé également les membres de la junte militaire responsable du coup d’Etat de 1976, son ministre de l’Economie, ainsi que d’anciens responsables du journal La Razon.
Fin août, la présidente avait présenté un rapport de 26.000 pages accusant Clarin et La Nacion, ouvertement anti-Kirchner, d’avoir usé de complicités sous la dictature pour prendre le contrôle de Papel Prensa, seule usine de papier journal du pays.
Les deux journaux avaient rejeté d’emblée les accusations de la présidente, et dénoncé, tout comme l’opposition, une « atteinte à la liberté d’expression ».
Le gouvernement a réaffirmé mardi « que les délits dont ont été victime les anciens actionnaires de Papel Prensa doivent être qualifiés de crimes contre l’Humanité et sont donc imprescriptibles ».
Papel Prensa appartenait à la famille de David Graiver, un banquier décédé dans un accident d’avion suspect en 1976. La dictature l’accusait d’être lié au groupe armé des Montoneros, fondé par la gauche péroniste.
Les actions ont été vendues après sa mort à Clarin, La Nacion et La Razon (appartenant aujourd’hui à Clarin). Clarin possède 49% de Papel Prensa, La Nacion 22% et l’Etat 28%.
« J’ai été forcée de tout vendre (…) ça a été « tu signes ou je te tue », a dit la veuve, Lidia Papaleo, lors d’un récent conseil d’administration de Papel Prensa, selon le journal Tiempo argentino, proche du pouvoir.
Mme Papaleo a raconté avoir ensuite été enlevée, torturée et violée dans un centre de détention clandestin.
Ceux qui réfutent cette version font valoir que Mme Papaleo, loin d’avoir signé la vente de l’entreprise sous la torture, a vendu début novembre 1976 et n’a été enlevée et torturée qu’en mars 1977, près de cinq mois plus tard.
L’opposition entre Kirchner et Clarin va crescendo depuis plusieurs années. L’an dernier, le gouvernement a nationalisé les droits du football au détriment du groupe privé pour que les supporteurs puissent voir les matchs gratuitement.
Il a fait passer une réforme de l’audiovisuel qui donne un an à toute entreprise possédant une chaîne hertzienne et une chaîne câblée pour se séparer de l’une ou de l’autre, Clarin étant concerné au premier chef.
En août, les autorités n’ont pas renouvelé la licence de la société internet Fibertel, filiale du groupe multimédia.
Parallèlement, la propriétaire de Clarin, Ernestina Noble, fait l’objet d’une enquête judiciaire sur l’adoption de ses deux enfants, qui pourraient être ceux d’opposants disparus pendant la dictature.