Anthologie permanente : Bernard Chambaz

Par Florence Trocmé

En 1999, Bernard Chambaz a fait le pari d'écrire au fil de la première décennie du XXI e siècle un long poème en dix chants, un par an, qui brasserait la matière d'une vie dans ses diverses strates, et qui serait aussi une sorte de réponse au drame qui l'a définitivement marqué : la perte d'un fils adolescent. Les cinq premiers chants, parus en 2005, frappaient par leur tragique allégresse et charriaient en un long fleuve tumultueux l'or et la boue d'un poème brusquement réinventé, comme la langue française ne nous en avait plus offert depuis longtemps. Cette épopée contemporaine était aussi un art poétique, faisant écho à Cendrars et aux grands bardes américains : Pound, Williams, Olson... Ce nouveau volume prolonge et clôt ce projet démesuré, avec des chants ayant une tonalité plus mélancolique et plus apaisée. Qu'ils suivent le cours de la Volga ou des cols italiens, les ombres de Khlebnikov ou de Pétrarque, ils continuent pourtant de dire le drame immobile et la beauté fuyante de la vie - ses miracles infimes, ses illuminations fugaces, dans les méandres de l'Histoire et de la ″vie courante″ - précipitée vers quoi ? (Prière d'insérer et dos du livre)

(séquence 588)
comme tout va par glissement
et par failles comme
tout disparaît
magenta monmousseau
juste
monmousseau
le mot
. . .
l'absence de tout bouquet
. . .
car chaque mot choisi
vient confirmer notre abandon considérable
aujourd'hui désappointé
mot anglais venu de français et revenu en français
par les airs
(destitué)
(séquence 589)
rengaine
petit m-pêcheur
absent encore de tous bouquets
car si la philosophie hésite entre
/tu/n'es/plus
/tu/as/été
la poésie les confond
comme dans les histoires de vieux rois et la poésie
affirme notre pouvoir de faire apparaître les choses
en tant que disparues.
Je n'y peux rien
tu restes le sujet
(séquence 590)
" bonjour les enfants ". c'est du mallarmé, il y a encore tes initiales - S M - Sa Majesté, ta couronne de roi déchu, bonne à jeter aux orties, tu es le roi déchu d'anatole et madame mallarmé est une reine déchue et il n'y a rien à faire, tout juste écrire si on peut, des feuillets ou des séquences, où on croise le fer avec les mots de tous les jours sous leur lumière étrange et où on croise tout court pas mal de rois qui traînent leurs basques dans ce territoire désolé, il y a aussi Paul Oiseau et Toto et Gogh et Cantor, on les retrouve, ils nous accompagnent bon gré mal gré dans ce tollé général
[...]
(séquence 595)
Paul Oiseau Paul les Oiseaux Paul la Neige Paul les Chevaux Paul la Rose de Personne Paul à l'infini Paul et si à la fin du chant V j'étais l'avion bœing ici je suis Paul Oiseau je suis Gogh Les Belles Grolles je suis Totor à l'asile de Halle, je suis où je veux quand je veux, oui, et je ne suis pas fou, je suis à la fenêtre et je fume, je balade ma carcasse dans les rues de la capitale et des faubourgs, je suis glorieux, c'est Toto qui l'écrit et il a mille fois raison et sous un certain angle il est le frère de schéhérazade et il ajoute : À moi le monde. il corrige. Non pas le monde. Mais ce tout petit point dans l'esprit.
c'est ça la vie
c'est ça la vie
c'est ça aussi la mort
donc
les mots
qu'elle terrasse
Bernard Chambaz, Été II, Flammarion, 2010, pp. 52, 53 et 56
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