Puisqu’il faudrait atteindre l’égalité économique, pourquoi ne faudrait-il pas également atteindre l’égalité dans les domaines de la santé, de l’intelligence, de la beauté, etc.
La gauche bien-pensante et égalitariste en diable nous rebat les oreilles depuis des générations avec l’injustice ignoble que consisterait l’inégalité économique, le mal par antonomase. La critique de ce point de vue qui vient immédiatement à l’esprit est de demander, puisqu’il faudrait atteindre l’égalité économique, pourquoi ne faudrait-il pas également atteindre l’égalité dans les domaines de la santé, de l’intelligence, de la beauté, etc.
En 1961, l’écrivain nord-américain Kurt Vonnegut fit de cette thématique le sujet d’une nouvelle dystopique, intitulée Harrison Bergeron. Le début de l’histoire commence mal :
« C’était l’année 2081, et finalement tout le monde était égal. Non seulement ils étaient égaux devant Dieu et la loi. Ils étaient égaux dans tous les sens du terme. Personne n’était plus intelligent qu’un autre. Personne n’était plus beau qu’un autre. Personne n’était plus fort ou plus rapide que quiconque. Cette égalité était due aux Amendements 211,212 et 213 de la Constitution, et à la vigilance incessante des agents de l’Handicapeur Général des États-Unis. »
Résumé de la nouvelle : L’égalité sociale a enfin pu être atteinte aux États-Unis en handicapant les plus intelligents, les plus athlétiques ou les plus beaux des membres de la société pour les ramener au niveau le plus bas des compétences communes. Ce processus est au cœur du système social, conçu de manière à ce que nul ne se sente inférieur à quiconque. Le maintien de ce handicap dans la population est supervisé par la « Handicapeur Général », Diana Moon Glampers. Le héros de l’histoire, Harrison Bergeron, possède intelligence, stature, force et beauté exceptionnelles. Pour cette raison il doit être diminué. Il doit souffrir des bruits qui le distraient, porter des charges de 150 kilos et des lunettes qui lui donnent des maux de tête, ainsi qu’un traitement cosmétique pour l’enlaidir. Malgré cela, il arrive à s’emparer d’une chaîne de télévision et à se proclamer empereur. Alors qu’il danse avec une étoile de ballet qu’il a pu débarrasser de ses incapacités, l’Handicapeur Général les tue tous les deux à coup de révolver. L’histoire est racontée du point de vue des parents de Harrison qui suivent l’incident à la télévision, mais qui, à cause de leurs handicaps, ne peuvent pas se concentrer suffisamment pour apprécier ce qui se passe ni s’en souvenir.
Les écrivains ont souvent anticipé avec justesse ce que des idéologues proclamèrent ensuite. Pour l’instant, personne n’a encore formellement proposé ce que raconte Vonnegut. Mais il s’agit cependant de la conséquence logique des prémisses égalitaristes. En donnant du temps au temps, le cauchemar se réalisera-t-il ?
(Cette nouvelle de Vonnegut a été porté à l’écran en 1995 par Bruce Pittman, Harrison Bergeron, et en 2009 par Chandler Tuttle, 2081.)