Marc Levy a fait ce numéro. Oh bigre.
Tout le monde rêvait d’écrire tel un poète maudit pour attirer la gent féminine; tout le monde rêvait d’avoir cette plume si acérée qu’elle en devenait gênante pour les gouvernements qui s’y frottaient. Aujourd’hui, tout le monde rêve d’être Marc Levy, écrivain quiquagénaire qui aura connu le succès auprès de la personne la plus fantasmée en France et dans le monde : la ménagère de plus ou moins 50 ans. Bénévole à la Croix Rouge, créateur d’une entreprise high-tech aux Etats-Unis, architecte en France puis écrivain à la sauvette, Marc Levy est à l’image des héros masculin de ses romans : le gendre parfait qui réussit à être à la fois humaniste, intelligent, beau, travailleur, bilingue et, least but not last, amoureux. Ses villes de prédilections sont Paris, New-York et San Francisco. Chacun de ses romans occupe la tête des ventes annuelles, devenant à chaque fois le roman français le plus vendu de l’année (2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2008, [..], 2051, 2052, etc.). Pourtant, un roman de gare à la Levy, ça ne se fait pas à la légère. On y parle d’amour, d’engagement, de vérité, de sincérité, de passion, de coup de foudre. De vie en somme. Grâce aux précieux conseils d’un article de Titiou Lecoq paru sur Slate.fr, j’ai décidé d’essayer d’écrire à la Marc Levy. Entre J.D et Marc, il y a un monde, mais je suis bien amusé. Modestement.
Le 12 décembre 2009
« Il était tard mais Romain n’éteignait jamais la lumière de sa chambre avant de se coucher sans avoir mangé un cornichon. Décidant d’utiliser ses jambes une énième fois pour aller chercher le fameux cornichon qui allait lui permettre d’atteindre les portes du sommeil – pensait-il car, en réalité, ce n’était que pure superstition, Romain ouvrit la porte du frigo et cligna des yeux face à la lumière aveuglante du néon blanc, jusqu’à apercevoir le pot vert que son esprit réclamait en vain.
Romain avait pris l’habitude d’engloutir quotidiennement cet unique cornichon depuis sa relation avec Julie, son premier amour, son premier coup de foudre. Le dernier selon lui. Tout lui revenait en mémoire en cette soirée paisible dans le quartier de Brooklyn, au bord de cette ville gargantuesque qu’était New-York dans laquelle il avait vécu quelques années lors de ses études d’architecture. Quelques années qui lui avaient permis de voir en New-York un endroit calme où se reposer et se ressourcer, loin des histoires de Paris. Mais il lui manquait quelque chose, le tableau n’était pas complet et présentait comme un abcès qu’il était impossible d’ignorer : Julie.
Depuis cette relation avortée, il ne cessait de se remémorer les souvenirs, les évènements beaux et plein d’amours qu’il avait vécu avec Julie pour finalement se remettre en cause par une série de questions qui rencontraient alors un mur d’incompréhension : « Pourquoi n’étais-je pas là ? Pourquoi n’ai-je pas pris la voiture en ce 12 décembre 2008 pluvieux et glissant ? Devais-je connaître la souffrance de l’amour perdu ?». À chaque fois que son esprit essayait d’y répondre, un brouillard ténu s’immiscait en lui. L’amour de sa vie avait en effet pris le volant pour rentrer sur Paris au retour d’un séjour à la maison de campagne de ses parents, située sur l’île de Ré. La route était glissante, la violence de la tempête Batrina avait fait coucher des dizaines d’arbres, le camion essaya de freiner, la voiture de Julie s’encastra froidement dans la toile froissée, comme si deux corps antinomiques étaient attirés l’un vers l’autre. [1] L’après accident, ce fut l’ambulance en trombe, la perte de mémoire de Julie, de longues heures d’attentes dans les couloirs glaciaux de cet hôpital parisien à penser, l’espoir de voir son visage être reconnu par les souvenirs de ces yeux qui n’avaient pas changés, mais qui semblaient ne pas appartenir à la même personne. Ce fut un très grand coup au cœur pour Romain, épaulé par sa sœur Victorine et son frère Paul. Julie fut inconsciente pendant quelques jours, reprit des forces rapidement mais n’arriva pas à s’accrocher à ses souvenirs qui s’envolaient à mesure qu’elle essayait de les effleurer.
La suite, Romain la subit. Déménageant, changeant littéralement de vie pour New-York faute de pouvoir aller à San Francisco. Son frère Paul l’hébergea lors des deux premiers mois. Lors de son arrivée, l’entrevue fut courte et digne. Un poids conséquent était visible sur les épaules du voyageur étrange et fantomatique qu’était devenu Romain, et Paul s’en aperçut dès qu’il vit son visage grimé d’une barbe de quinze jours. Ce visage ne souriait plus.
- Salut Romain. lança Paul
- Salut Paul, j’espère que je ne te dérange pas en venant chez toi.
- Non, tu es ici chez toi. Et après ce qui t’es arrivé, il est normal que tu trouves refuge dans un autre endroit que Paris. Ca doit être très très dur pour toi …
- Oui ça l’est. Je ne suis pas trop dans mes chaussettes ces temps-ci. J’ai mal à mon cœur mais j’espère réussir à recommencer quelque chose à New-York. Reprendre tout à zéro.
Paul lui fit visiter l’appartement, lui indiquant la chambre d’ami qui possédait une vue sur l’immense cité qu’était New-York, cette immense ville qui n’avait pas quitté le cœur et les souvenirs de Romain. Ce dernier, après avoir encore une fois remercié chaleureusement Paul, décida d’aller se coucher. Six mois plus tard, il était encore à New-York mais dans son propre appartement, situé près de Central Park et à moins de 15 minutes de son cabinet d’architecte qu’il avait monté en collaboration avec Francis, un ami de toujours. Son travail absorbait chaque minute de son temps par peur de penser à Julie et d’être encore une fois pris dans les tumultes de ses interrogations. Bien qu’il travaillait nuit et jour, il savait que ce qui le faisait avancer c’était la possibilité de retrouver sa Julie, sa sienne à lui et rien qu’à lui bien que sa raison lui interdisait de croire une telle chose. En ce soir de 12 décembre 2009, Romain était triste car son cœur, ce salop, soutenait encore ce mince filet d’espoir qui lui faisait des gazouillis au niveau de sa poitrine. Il s’était fait à nouveau rattraper par son passé et la qualité de son pull cashmere [2]ne pouvait rien y changer. C’était peine perdue. Il y a un an, Romain disparaissait de l’esprit de Julie. »
[ Les 200 à 300 pages d’écrits introduisant une tension palpable chez les lecteurs - qui normalement suivent les premiers paragraphes écrits plus haut - ne seront pas reproduites ici. Mais imaginez un peu : une tension synonyme d’attente chez les lecteurs est en train de monter page après page. Comment les deux personnages du roman vont-ils se revoir ? Comment Marc Levy (ou plutôt son modeste clone, moi), ce génie de la littérature française (traduit dans plus de 40 langues, qui aura vendu 20 millions d’exemplaires en France et dans le monde et qui a vu trois de ses romans être porté à l’écran dont un à Hollywood ! Hollywood les mecs ! Putain ! ), va t’il faire ? Le HLASPF (le fameux Heureusement, leur amour sera le plus fort) est attendu par la ménagère de plus ou moins 50 ans. Sa culotte frétille d’impatience, saisissant chaque pulsion de son intellect pour essayer d’imaginer dans son esprit la rencontre improbable entre Romain et Julie, jusqu’à s’en donner le tournis.
Donc, 200 à 300 pages lors desquelles Romain continue à travailler mais son esprit se tourne de plus en plus vers le fatidique 12 décembre. Sur les recommandations de son collègue Francis, il décide alors d’à aller voir un psychologue réputé à New-York. Il se brouille dangereusement avec son meilleur ami, son confident, son frère Paul, qui lui demande d'oublier Julie. On est là face à une situation dramatique dans lequel le lecteur ne peut rien faire : l'un des deux personnages principaux tombe dans une sorte de mini-dépression alors que les choses bougent du côté de Julie, sans qu'il le sache (voilà le côté dramatique de la situation : Romain ne sait pas). En effet, au même instant et à l’autre bout du globe (à Paris plus précisément), Julie retrouve la réalité et les bribes de sa vie d’avant. Elle recouvre miraculeusement la mémoire grâce à une balle de tennis qu’elle reçut sur la tête alors qu’elle traversait le jardin des Tuileries. Treize pages vont dès lors porter sur la vitesse de la balle (146,5 km/h) ainsi que sur une description très fidèle du tennis, sport très intéressant au demeurant (ici, expression rajoutée à la demande de Marc Levy. Selon ses propres mots, il « manque quelque chose à ta phrase mon petit bonhomme. De chemin ». Marc Levy adore rajouter de belles expressions).
Mais comment va se faire la rencontre ? Digne d’un Sofia Cop’ pour Lost In Translation, le roulement de tambour gagne en puissance, la ménagère n’en peut plus, la rencontre est là. Sublime, magnifique, transfuge de l’amour et de la passion, la lectrice transpire. On ne se moque pas, Marc a dit que l’amour c’était bien. Ne pas oublier de faire l’apologie des valeurs de liberté et de bonheur, l’amour ne remplissant pas assez de pages.]
Film tiré de Mes amis, mes amours (Marc Levy, 2006)
Six mois plus tard, le 27 juin 2010
« Il est très tard quand Romain s’apprêta à quitter son cabinet d’architecture situé au 568ème étage des tours Triplettes de New-York (tour que son cabinet a créé) culminant à 2530 mètres de hauteur. Cinq minutes lui sont nécessaires pour descendre en ascenseur les 568 étages qui le séparent du sol, de la réalité. Depuis des mois, il ne quitte plus son bureau, encore trop occupé à faire que son quotidien soit le plus rempli possible pour oublier Julie. Malgré cela, il y pense encore et encore mais d’une manière très différente. Ses interrogations ne sont plus de l’ordre du « Pourquoi ? ». Ce ne sont même plus des questions, seulement des hypothèses, des « et si… ». « Et si l’accident n’avait pas eu lieu, et si nous avions continué à nous voir, à entreprendre la formation d’une famille, et si nous avions fait un bowling, qui aurait gagné ? ». Comme il disait souvent à son collègue et ami Gerard, « personne n’est propriétaire du bonheur. On a parfois de la chance d’avoir un bail, et d’en être locataire. Il faut être très régulier sur le paiement de ses loyers, on se fait exproprier très vite. De mon côté, je n’ai même pas pu visiter l’appartement en question à cause d’une tempête… » .
Décroisant lentement les jambes, Romain bâilla longuement en étirant les bras vers le ciel. Mais il n’effectua pas de saut à pied joint, sa fatigue, tel un boulet au pied qui le tirait vers le bas, l’en empêchant. Au loin, à l’autre bout de l’open space de son cabinet, il entendit une voix féminine assez stridente qu’il reconnut tout de suite. C’était Madame Houtfire mais tout le monde l’appelait amicalement « Bibi » :
- Monsieur Noriot !
Décidant de se lever et de quitter son bureau face à cette intrusion sonore, Romain prit son courage à deux mains et traversa d’un pas lent les quelques mètres qui le séparaient du bureau de Bibi, situé à côté de l’ascenseur. Bibi c’est un peu la mascotte de son cabinet d’architecture. Engagée par lui-même, il la trouvait superbe avec cette air de maman à tout faire qui avait la capacité d’organiser l’ensemble des rendez-vous, déjeuners, dîners et même goûters des différents employés de la boite. Il remerciait ainsi chaque jour le bon dieu de l’avoir mise sur son chemin, un jour pluvieux de novembre, alors qu’ils se retrouvèrent tous les deux à prendre le même taxi. S’approchant de son bureau, Romain répondit enfin.
- Oui Bibi ?
- Oui monsieur. Voilà… j’’ai reçu un message très important et…
- C’est le dixième message important dont vous me faites part aujourd’hui Bibi.
- Oui monsieur, je le sais bien mais celui-ci est…
- Vous m’en informerez demain comme il se doit. Je suis pressé et surtout fatigué, je dois rentrer chez moi. Faites comme moi Bibi, allez vous reposer !
- Bien monsieur. Mais je voulais vous dire que…
- Plus un mot ! Bonsoir Bibi.
Passant lentement ses mains dans ses cheveux, Romain entra en trainant des pieds dans l’ascenseur, remarquant à peine son reflet lassé et lessivé qu’il ne voulait pas apercevoir. Se voir était pour lui une sorte de remise en question. Il ne le fallait pas. Il ne fallait pas qu’il remette en cause ce rythme effréné qu’il s’était lui-même fait subir. Il ne fallait pas qu’il repense à Julie. Il releva la tête, conscient que son regard allait croiser ces yeux verts qu’il connaissait si bien. Mais ils avaient perdu de leur lueur et de leur intensité. Julie.
Cinq petites minutes après que l’ascenseur ait fait la part de son travail rythmé par les allers et venues des hommes en cravate, Romain sortit lentement du haut bâtiment. En face, le restaurant El Hombre était toujours ouvert. C’était un peu la seule lumière qu’il pouvait reconnaître lorsqu’il sortait enfin de cet espace clos qui le dévorait pendant des heures. À chaque fois que Romain pensait au restaurant, au vu de son emplacement étrange entre ces buildings imposants, il pensait qu’il avait un jour été mis là, faute de place. Un peu comme si un New-Yorkais débarquait en pleine forêt amazonienne avec son taxi jaune, son attaché-case et son costume-costard-cravate-noir.
À l’une des tables de la terrasse, une jeune femme blonde était assise. Belle, son bras droit délicatement posé sous son menton, les yeux écarquillés par la lumière des taxis jaunes virevoltants de New-York. Elle faisait face à lui, lui qui était de l’autre côté de la rue. Tel dans un film, et sans réfléchir à l’environnement qu’il l’entourait, Romain traversa le passage piéton, les yeux rivés sur Julie. Oui c’était bien elle, elle était dans ce restaurant qu’il n’avait jamais eu le courage d’approcher à chaque fois qu’il sortait du travail. Sous la brillante lumière artificielle de la terrasse, il voyait son visage se définir de plus en plus, à mesure que ses pas se rapprochaient d’elle, à mesure qu’il avançait vers cette personne qu’il semblait avoir connu il y a des milliers d’années. Mais tout lui revenait maintenant. Leurs regards ne cessaient de s’entrechoquer. Pas un mot ne fut émis. Ils s’embrassèrent.
[Paf. Pour la première fois chez Marc Levy, pas de discussion entre les deux personnages avant même qu’ils ne se soient embrassés (excuse n°1 : ils se sont déjà tout dit, la difficulté première restant l’accident de la route et l’amnésie de Julie). Tout le génie de l’auteur aura été de mettre en place une tension digne d’un film d’Hitchkock pour que les lecteurs lisent et relisent les dernières lignes de ce dernier paragraphe. S’ensuivent de nombreuses lignes/pages sur le bonheur, la capacité de l’amour à faire survivre des personnes, à en faire espérer d’autres (Romain était plein d’espoir, il faut le savoir), et enfin à les faire se rencontrer au détour d’un building à New-York. Les ingrédients sont à peu près là, la ménagère de 50 ans pleure.
N.B : les 200 à 300 pages occultées dans cet article sont importantes. Vous devez réussir à apporter de l’eau à cette tension pour que les dernières lignes avant le nirvana (expression s’accordant à décrire l’apogée d’un livre à la Marc Levy : là où les deux protagonistes s’embrassent pour la première fois) puissent fonctionner et faire pleurer/réagir le lecteur. Finissez votre livre enfin par un paragraphe dit « sexuel ». Mais ne rentrez pas dans les détails, décrivez l’acte sexuel de manière symbolique grâce à des métaphores convenues et connues du grand public. Les mots « âmes », « corps » et « tendresse » sont fortement recommandés. Pour vous mettre en situation, les deux compères boivent un verre, se racontent leur vie et montent se coucher.]
« Et l’âme de Romain prit son envol dans celle de Julie, tel un pigeon délivré d’une cage mortelle qui l’avait trop souvent enfermée.Tout ne fit plus qu’un entre le corps de l’homme et le corps de la femme et rien ne put empêcher les deux amants de s’étreindre jusqu’à en perdre leur bras.[3] L’acte de retrouvaille accompli, les deux cons finissent par rigoler et péter un bon coup. [4]«
[i1] L’élément perturbateur : l’accident. Tout ça à cause d’un banal cyclone de force 12. Comment ça Météo France l’avait prévu ?
[i2] Le pull cashmere, le pull que tous les personnages de Marc Levy portent. C’est très doux.
[i3] Ok, c’est gore.
[i4] Juste pour vous rappeler que vous êtes bien sur Across The Days. Faut pas déconner non plus.
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