EADS tente de se forger une nouvelle image Ť corporate ť.
Branding : c’est un terme anglo-saxon ŕ souhait capable de claquer fort dans le secret de salles de réunion aux portes capitonnées, lourd de sens cachés, voire de secrets industriels. Il suppose les compétences de spécialistes de l’ombre, mi-publicitaires, mi-psychologues, aux allures policées, des personnages trčs tendance sortis tout droit des pages de Vanity Fair. Ces hommes, ces femmes, jouent un rôle toujours plus important dans la maničre de façonner l’image d’une grande société, pour mieux séduire l’opinion, les actionnaires, les investisseurs, les médias, la bourse. C’est étonnant, parfois amusant, sans ętre un jeu pour autant.
EADS s’y essaie ŕ son tour, sans que ce soit une premičre. Aussi loin que remonte la mémoire, au bon vieux temps d’Aerospatiale (sans accent !), de Matra, on s’adonnait déjŕ au branding, pour créer ou parfaire une image de progrčs, de modernité. Personne n’était tout ŕ fait dupe et quelques créateurs y trouvaient l’occasion de prouver leur talent, souvent ŕ l’intervention de grandes agences. D’autres en faisaient autant avec de petits moyens. Ainsi, le logo d’Airbus, créé il y a 40 ans par le graphiste allemand Knut Marsen qui a parfaitement résisté ŕ l’outrage des ans.
Cette fois-ci, le groupe EADS fait fort, passe ŕ l’attaque, rénove de fond en comble. On imagine volontiers Pierre Bayle, directeur de la communication, s’avançant courageusement sur le pont d’Arcole en criant : Ť branding ! ť Pourquoi maintenant ? Parce que EADS fęte discrčtement son dixičme anniversaire, Airbus vient d’avoir 40 ans, Eurocopter et Astrium dix. Il était urgent de créer l’unité de l’image, sachant que l’ancien logo Ťcorporateť ne pouvait tout simplement pas ętre décliné d’une marque ŕ l’autre. On rejoint lŕ l’un des plus grands mystčres du secteur aérospatial, sachant qu’il n’a pas ŕ séduire des foules anonymes pour réussir. Selon l’expression consacrée, chaque intervenant connaît tous ses clients présents et espérés par leur prénom. Ils sont en effet peu nombreux, par la force des choses. Mais il faut quand męme séduire urbi et orbi.
Dans la foulée d’une rénovation graphique, EADS crée aussi une marque entičrement nouvelle, Cassidian, appellation qui est désormais celle de l’unité sécurité et protection (on ne dit plus Défense, c’est restrictif et dépassé). C’est d’ailleurs lŕ que tout se complique. Cassidian ? Le Petit Larousse est muet, Google ne conduit pas ŕ la bonne piste et seuls les latinistes distingués gardent la tęte haute en faisant cette découverte. Cassidian constitue, en effet, la subtile contraction de mots qui signifient casque de fer et méridien. C’est la minute intellectuelle du Ťbrandingť, le talent des Pierre Desproges en moins. Reste ŕ savoir ce qu’en diront les experts d’outre-Atlantique dont la culture latine est tout ŕ fait minimale. En revanche, Cassidian sonne bien, et cela avec n’importe quel accent.
L’essentiel réside néanmoins dans l’unité graphique. L’u-ni-té, sans doute restée fragile et insuffisante au terme de la premičre décennie du groupe. Dans le rapport annuel 2009, Louis Gallois martčle le message : Ťje souhaite promouvoir un sens de l’unité et un sentiment de fierté chez les collaborateurs d’EADSť. Cette remarque tient en peu de mots en męme temps qu’elle traduit l’une des difficultés majeures du groupe, ŕ l’origine patchwork quadrinational et théâtre d’un délicat jeu d’influence opposant Français et Allemands. Officiellement, ces errements font partie d’un passé que chacun voudrait oublier au plus vite mais la vraie vie, on le sait, n’est pas aussi simple.
Dčs lors, symbole des symboles, il fallait imaginer un logo conciliant les données multiples d’un arbre généalogique complexe. Lesquelles étaient soupçonnées de jouer un rôle néfaste, encore que subliminal. Rarement un logo avait été investi d’une telle responsabilité, c’est-ŕ-dire traduction graphique d’une œuvre d’apaisement et prolongation esthétique de l’ambitieux plan Vision 2020. Celui qui doit conduire ŕ une entreprise plus équilibrée entre activités civiles et militaires, entre euro et dollar.
Dans le męme temps, les stratčges d’EADS déploient des efforts méritoires pour susciter un climat interne positif, sympathique, porteur. Tout cela est compliqué en męme temps que rassurant dans la mesure oů il est ainsi beaucoup question des 119.500 personnes du groupe. De vraies personnes, que chacun espčre fičres de leur nouveau logo.
Pierre Sparaco - AeroMorning