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A force d'en parler souvent avec mon ami Justin et après être retombé récemment sur un de ses couplets les plus virulents dans le "Tout Saigne" de La Clinique, il m'est venu l'idée de vous parler de Doc Gynéco. La tournure qu'a pris la carrière de Bruno Beausir me rend triste, presque autant que l'image médiatique qui lui colle à la peau (sans doute pour toujours). Il ne faut pas se méprendre, la trajectoire de ce garçon est une allégorie du Hip Hop français.
Les premières apparitions de Bruno datent de 1995, date à laquelle ses copains du Ministère A.M.E.R. (Passi et Stomy Bugsy, pour les néophytes) commencent à se faire un véritable nom. Il traine avec eux, pose quelques freestyles, apparait dans les clips et participe aux chœurs, notamment sur Sacrifice de Poulet, le morceau culte du groupe. Stimulé par le succès de ses partenaires, il bosse sur ses propres sons et obtient un contrat chez Virgin.
Dans la foulée, il part à Los Angeles enregistrer Première Consultation. Un album certifié platine (rappelons que nous étions à une époque où le Rap était presque considéré comme une musique respectable en France), classique du genre. Les raisons du succès sont simples: un personnage charismatique, des textes malins (qui vont de la description colorée d'une rue parisienne à un égotrip footbalistique en passant par des déclarations d'amour enfiévrées) mais aussi un discours original.
Contrairement à pas mal de ses collègues, Doc Gynéco ne revendique pas grand chose, ne fait jamais dans la surenchère et, surtout, ne se considère absolument pas comme un rappeur. Pourtant, cet album est terriblement Hip Hop, porté par une forte influence G-Funk (le triomphe de NWA n'est pas si lointain en 1996). Bref, tout le monde l'adore, il est fréquentable, c'est un bon client à la télé, il a sa marionnette aux Guignols. Une star est née.
Pourtant, le Docteur décide de se remettre en question. Pas question de faire un "Nirvana 2", il voit plus loin et monte un projet ambitieux nommé Liaisons Dangereuses (1998). Plus une compilation qu'un véritable album, il invite une escouade de rappeurs, surtout issus du Secteur Ä (qui vit là ses derniers mois) et quelques artistes totalement inattendus (Catherine Ringer, Renaud... Bernard Tapie).
Le propos est sombre (la pochette est noire, on y voit qu'une guillotine, un bourreau portant une tête de porc symbolisant Le Pen, figure au dos), tristement cynique même. Bruno, dans un morceau prophétique, "L'Homme Qui Ne Valait Pas 10 Centimes", apparait las et fatigué de l'image qu'on lui donne, il se déclare "foncedé mais pas teubé" et dévoile ses problèmes avec Virgin. La production des "Liaisons Dangereuses" n'a pas été un long fleuve tranquille, cela a laissé des traces.
Le projet est mal vendu, Bruno est invité partout mais pour faire son numéro de renoi qui parle lentement. Le grand public retiendra le duo avec Bernard Tapie qui n'est qu'un contrepied totalement beausirien. "Liaisons Dangereuses" est un album mal connu mais c'est probablement le disque le plus abouti du Doc Gynéco, c'est aussi un sacré flop commercial. Le public ne comprend plus l'écart entre le personnage évaporé et l'artiste lucide.
A suivre...