Une exposition, c’est un artiste qui montre son travail, n’est-ce pas ? Sauf que quelquefois, c’est le commissaire qui montre le travail de l’artiste à sa manière. Et d’autres fois, ce n’est pas le travail de l’artiste qui est montré, mais autre chose. Quoi, autre chose ? Un ensemble, un réseau, des liens, une symphonie de travaux d’autres personnes (artistes, artisans, écrivains, poètes, musiciens, danseurs éventuellement), que l’artiste “exposé” a commandés, pilotés, invités ou accueillis, qu’il a mis en forme, mis en espace, orchestrés. Les deux expositions de l’aile Sud du Centre Pompidou exemplifient à merveille ces deux cas de figure : l’exposition Orozco, si différente de celles de New York et de Bâle, porte avant tout l’empreinte de la commissaire, et on y juge le travail de celle-ci autant, sinon plus que celui de l’artiste (et on peut l’apprécier, ou, comme moi, pas).
Au contraire, dans l’exposition de Saâdane Afif (en tant que lauréat du Prix Marcel Duchamp), Anthologie de l’humour noir, il n’y a pas une seule oeuvre de Saâdane Afif : quoi d’étonnant de la part d’un artiste qui a gagné le prix en montrant, pour l’essentiel, une affiche annonçant un concert ailleurs, concert dont il n’avait pas vraiment composé lui-même la musique que jouait un pianiste. Nous avons donc ici, au centre de la pièce un cercueil qu’il a commandé à un artisan ghanéen (ancien assistant du célèbre Paa Joe) en forme de Centre Pompidou (”T’as commandé une bière / Sans rite funéraire / T’as commandé une bière / Aux magiciens de la terre “, Claire Guezengar). Nous avons sur les murs quinze poèmes, en français ou en anglais (et quelques mots en ga), qu’il a commandés à des artistes, des critiques (dont un critique cycliste), des écrivains, le spécialiste d’art africain qui lui a fait connaître les cercueils d’Accra, son pianiste sus-mentionné et quelqu’un qui est peut-être un champion d’aviron (?). Nous avons des moulages des plots qui entourent la piazza du Centre Pompidou, sur lesquels se juchèrent, un seul soir, deux acteurs récitant lesdits poèmes.
Et tout cela tient ensemble, et fort bien. Il y est question d’humour et de mort. Il y est surtout question de Saâdane Afif et de ses efforts pour introduire une nouvelle forme d’exposition (”mon médium de prédilection”, dit-il), un nouveau rôle pour l’artiste, une délégation à inventer, un rôle d’incitateur, de chef d’orchestre, de confluent, qui peut dérouter, mais qui est peut-être une évolution aussi importante que le fut Jardin-Théâtre Bestiarium en son temps. Peut-être. Et en plus, ce qui ne gâche rien, c’est drôle. Didi-Huberman rime avec Superman (Laetitia Paviani). Jusqu’au 3 janvier 2011.
* “un mec dont le nom est Triste” (Tacita Dean)
Photo 1 de l’auteur; photo 2 courtoisie du Centre Pompidou (G. Meguerditchian)