A priori, entre les différentes affaires qui concernent le ministre du travail, l'épineux dossier des retraites et la question des Roms, il n'y a aucun points communs. Pourtant, par la grâce d'un président de la République qui veut tout faire, et le plus souvent avec des arrières-pensées, tout s'est mélangé, pour aboutir aux quatre mois d'hystérie politique que nous venons de vivre. Petit retour sur ces quelques semaines qui ont bouleversé notre pays et nous ont rendu internationalement ridicules.
L'annonce de la réforme des retraites
En fait, tout commence au coeur de l'hiver, quand Nicolas Sarkozy, reniant ainsi avec ses engagements de candidat, annonce qu'il veut faire de la réforme des retraites l'acte majeur de sa fin de quinquennat. La stratégie présidentielle est claire. Fortement impopulaire, avec une politique économique et sociale que les Français jugent inintelligible et injuste, et à l'approche d'élections régionales qui s'annoncent périlleuses, le président de la République veut réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué, et apparaître ainsi comme un président réformateur et soucieux de l'avenir du pays. Pour cela, il pense disposer de trois atouts majeurs : l'apathie de l'opposition qui n'a ni programme ni leader, la division syndicale, et le sentiment de résignation profond de la société française.
En mars, les élections régionales sont très mauvaises pour la majorité. Nicolas Sarkozy décide alors de procéder à un mini remaniement stratégique. Brice Hortefeux, éphémère ministre du travail, peu à son affaire à ce poste, bascule à l'intérieur, laissant la place à Eric Woerth, jugé sérieux, compétent et fin diplomate. Le gouvernement fait ensuite très vite. Il annonce un calendrier très resserré, reçoit pour la forme les syndicats et laisse filtrer ça et là les premières pistes, sans jamais évidemment dévoiler ses vraies intentions que tout le monde connaît : repousser l'âge de la retraite comme le souhaite le patronat. Et la stratégie fonctionne, puisque les syndicats semblent avoir énormément de mal à mobiliser l'opinion sur le sujet. Le 1er mai qui aura pour principal sujet les retraites et la manifestation du 27 mai ne déplacent pas les foules.
L'affaire Woerth qui vient modifier la donne
A partir du 16 juin, tout se complique pour le gouvernement. Ce jour là, l'affaire Bettencourt qui n'était jusque là qu'un règlement de compte familial sur fond d'héritage, au sein d'une des plus riches famille de la haute bourgeoisie, prend un tournant politique. Le site d'information Médiapart publie le contenu d'enregistrements pirates effectués par le majordome de Mme Bettencourt, où l'on apprend qu'il existe des liens troubles entre le ministre du travail, sa femme, et l'héritière de L'Oréal. Dans ces mêmes documents on découvre éberlués que Mme Bettencourt aurait financé de façon illégale la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, par l'entremise d'enveloppes versées à celui qui était alors trésorier de l'UMP et ministre du budget : Eric Woerth.
A ce moment-là, il n'y a toujours aucune enquête judiciaire (d'ailleurs, fin septembre, il n'y en a encore pas), mais la presse s'empare de l'affaire. Le déferlement médiatique est incroyable, tous les jours de nouvelles révélations tombent, affaiblissant à chaque fois un peu plus un ministre du travail complètement discrédité. Dans le même temps, l'opposition retrouve enfin son unité et sa voix, et en profite pour attaquer sur le dossier des retraites. De leur côté les syndicats surfent sur cette preuve évidente de collusion entre le pouvoir et les puissances d'argent pour réunir le 24 juin plusieurs centaines de milliers de personnes contre la réforme des retraites. Cette manifestation réussie à une date pourtant compliquée indique clairement que la donne a changée, réformer les retraites sera plus compliqué que prévu.
L'insécurité et les Roms comme contrefeux
A l'Elysée, à Matignon et au sein de la majorité, c'est la panique. Ce que l'on appelle désormais l'affaire Woerth Bettencourt est capable de réveiller tous les mécontentements et de les cristalliser autour du dossier des retraites. Dans un premier temps, les ministres et les caciques de l'UMP multiplient les attaques contre la presse, qualifiée de fasciste et d'anti-démocratique. La pression ne retombe pourtant pas sur le ministre, et à l'UMP on compte bien sur les vacances d'été pour souffler un peu et passer à autre chose. Las, pendant tout le mois de juillet les révélations et les gardes à vue vont se succéder. L'exécutif continue de sombrer dans les sondages.
Ce sont deux faits divers qui vont donner l'occasion à Nicolas Sarkozy de contre attaquer. Depuis les élections régionales, on sentait bien qu'il avait l'intention de refaire du thème de la sécurité sa priorité. Avec l'affaire Woerth, il devient en effet urgent de trouver un dérivatif. Fin juillet, une émeute dans un quartier populaire de Grenoble et un soulèvement de gitans dans un village du Loir et Cher vont permettre à Nicolas Sarkozy de revenir sur le front sécuritaire. Ce sera le discours de Grenoble qui préfigure un recul énorme sur nos libertés fondamentales. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, un chef de l'Etat vise nommément une catégorie de la population en fonction de son origine, assimile immigration et délinquance, et prépare une réforme de la déchéance de nationalité qui créera de facto au moins deux catégories de Français.
Dans un premier temps, l'effet est réussi. De la gauche au centre, en passant par les syndicats, les instances religieuses, la quasi totalité de la presse et même certains leaders de droite, tout le monde est vent debout contre les nouvelles propositions du chef de l'Etat. Seuls quelques sarkophiles continuent à le soutenir, mais le résultat est là : on ne parle plus ni de l'affaire Woerth, ni des retraites.
Un automne qui s'annonce chaud et périlleux
Malheureusement pour Nicolas Sarkozy, la mystification ne durera pas longtemps. Tout d'abord, les Français ne sont plus dupes. Cela fait 8 ans qu'il est en charge de la question de l'insécurité. Beaucoup plus que comme la volonté de prendre les choses en main, le discours de Grenoble est surtout perçu comme l'aveu de son échec. Ensuite, certaines personnalités de la majorité, en mal de reconnaissance médiatique et soucieuse de se faire bien voir de l'Elysée, vont en rajouter dans la surenchère sécuritaire, sombrant parfois dans le ridicule, comme avec cette proposition inapplicable de mettre en prison les parents d'enfants délinquants. Cela va jeter un trouble sur la stratégie présidentielle. Enfin, les premières expulsions de Roms vont créer un véritable émoi non seulement en France, mais aussi dans le monde entier. En quelques jours, le Vatican, l'ONU, l'Union Européenne vont s'insurger contre les nouvelles mesures envers les Roms, mettant ainsi la France au ban des nations.
Et ce n'est pas tout, puisque le 7 septembre les syndicats réussissent leur pari de rassembler encore plus de monde qu'en juin, à une date là aussi improbable, prouvant du même coup que les retraites restent bien la préoccupation principale des Français. Toute l'agitation estivale n'aura donc servi à rien, si ce n'est à mobiliser encore plus toute un partie de la population révulsée par les atteintes aux droits de l'homme. Si on rajoute à cela que la manifestation du 23 septembre s'annonce mémorable et que le spectre d'une grève générale se fait de plus en plus vivace, on se dit que Nicolas Sarkozy aura fait d'énormes dégâts juste pour satisfaire une stratégie électorale.
Sur le sujet :
On trouve un récapitulatif de l'affaire Woerth sur le site d'europe1.
Les échos de la gauchosphère relie lui aussi tous ces sujets.
Sur le web :
revolution citoyenne un nouveau forum pour tous ceux qui veulent changer le monde (Merci Annie )
panier de crabes nous rappelle que Sarkozy et l'Union Européenne sont les deux branches d'un même problème.
Beau billet de Jef sur l'apostasie.
vachane veut toujours connaître la vérité sur les attentats de Karachi.
coups de coeur littéraires a un avis mitigé sur le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert.
Pour en savoir un peu plus sur le guide du manifestant arrêté, c'est chez sud-rail cerbere.