De l’ombre à la lumière

Publié le 20 septembre 2010 par Jlhuss

Il n’avait jamais rêvé, petit garçon, d’atteindre des sommets. Mais il avait toujours pensé qu’il se devait de poursuivre la quête d’une certaine réussite sociale. Il pourrait, pourquoi pas, côtoyer les meilleurs s’il s’en donnait la peine. Il avait l’ambition du modeste, pas innée, rêvée à 15 ans et claironnée, mais construite et muette.

Certes, son parcours scolaire, puis universitaire, sans être pitoyable, ne rivalisait pas avec celui des meilleurs de la génération précédente. Il ne sortait pas des écoles les plus capées. Il n’avait pas eu l’occasion de cheminer, même temporairement, sur l’une des grandes voies royales de la méritocratie de son pays. Il lui faudrait sans doute  inventer d’autres moyens, faire preuve de plus d’humilité de surface, consacrer de l’énergie à des taches d’abord modestes. Il suffisait de les choisir avec soin et à chaque fois d’en tirer le bénéfice maximum. Il devrait optimiser l’attente.
Il était né au milieu du gué, jeune dans une génération qui partait, quittant progressivement le pouvoir; déjà « âgé » pour les jeunes loups s’appliquant à dévorer les anciens. Il lui faudrait donner des gages des deux côtés. Il le fit sans amertume pour le passé qui fuyait et avec beaucoup d’abnégation envers un futur encore hésitant.


Il avait été à très bonne école pour naviguer ainsi entre les générations, au contact des plus riches installés mais aussi des affamés les plus roués .
Une partie de sa réussite au compromis, il la devait à un physique assez transparent, lisse. Rien n’attirait immédiatement le regard, pas de séduction garantie, mais pas non plus de repoussoir immédiat. Lisse. Il n’y avait aucune raison pour que le mâle dominant puisse lui porter ombrage, ne ressentant aucun danger, pas non plus que les femelles le repoussent. Lisse et disponible.
C’est ainsi qu’il s’approcha effectivement du plus haut niveau, personne ne l’ayant vu véritablement arriver. C’est alors aussi, que les choses devinrent plus délicates, difficiles et pour finir dangereuses.
Avait-il commis une erreur ? Avait-il brusquement montré des dents qu’il cachait jusque-là ? Il ne le pensait pas, mais il est certain que le manège se mit à tourner de travers tout à coup.
Plus lente avait été l’ascension, plus rapide fut la chute. Les attaques les plus dures ne vinrent pas de ces concurrents habituels qu’il savait parfaitement maîtriser, mais de ces amis les plus proches et sous des formes souvent masquées. Ce furent ces amis qui braquèrent d’un seul coup les projecteurs, lui promettant la dernière marche du podium. Ils le lancèrent dans des opérations hasardeuses contre des soutiens de toujours. Surtout ils lui façonnèrent une image rigoureuse qui ne manquerait pas d’exciter les jalousies et d’aiguiser les couteaux des égorgeurs de vertu.
Il connut alors toutes les avanies, les attaques les plus sordides, l’obligation de nier l’évidence et finalement la casse d’une belle mécanique montée très patiemment. Il ne connaîtrait jamais les “sommets”. C’est difficile de passer de l’ombre à la lumière. Pour certains, les choses se terminent parfois très mal, au bord d’un canal, une balle dans la tête, avec comme seule consolation celle d’entendre, dans l’azur, le Prince évoquer des chiens.

Toute ressemblance avec des personnages connus serait pure conïncidence.