envoyé par lfabius.
"Monsieur le président, mes chers collègues, j’interviens à cette tribune en application de l’article 49, alinéa 13, de notre Règlement qui prévoit des explications de vote individuelles liées au caractère personnel du mandat que chacun d’entre nous a reçu de la nation. Et je remercie Mme Imbert de m’avoir permis d’intervenir.
Les retraites sont évidemment un problème très important. Chacun ici est d’accord pour le constater.
J’essaierai de montrer en quelques minutes que vous n’apportez pas de solutions à ce problème messieurs les ministres mais que vous êtes un élément fondamental du problème lui-même.
Pourquoi ? Si l’on veut traiter cette question, il faut d’abord respecter ses engagements. Or j’ai sous les yeux une déclaration solennelle de M. le Président de la République, après son élection : « S’agissant de la mise en cause du droit à la retraite à soixante ans et de son passage à soixante-deux ans, je ne le ferai pas pour un certain nombre de raisons. La première, c’est que je n’en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris - c’est toujours M. Sarkozy qui s’adresse aux Français -, je n’ai donc pas de mandat pour faire cela et ça compte, vous savez, pour moi ! »
Deuxièmement, pour parvenir à une réforme efficace des retraites, il faut une négociation avec les syndicats. Vous n’avez cessé, au cours du débat, mesdames et messieurs de l’UMP, de mettre en cause les socialistes, les communistes et la gauche. En réalité, vous mettez en cause la totalité des syndicats de ce pays et le mouvement social qui les soutient, en désaccord fondamental avec vos propositions.
Troisièmement, si l’on veut apporter une vraie solution au problème des retraites, il faut évidemment que les propositions soient justes et que l’on ne tape pas sur les salariés les plus modestes. Or la seule chose que vous proposez, c’est de rendre plus difficile les conditions de travail et de vie pour ceux qui partaient à soixante ans ou soixante-cinq ans. Ce sont eux que vous pénalisez alors que vous ne demandez aucun effort aux plus privilégiés de notre pays. C’est cela aussi qui vous interdit d’apporter une solution au problème des retraites.
Quatrièmement, il est évident qu’il faut traiter la pénibilité. Mais vous confondez volontairement pénibilité, invalidité, incapacité. La première aggravation que vous apportez à la pénibilité, c’est la suppression du droit à la retraite à soixante ans : on ne peut pas dire que l’on veut alléger la pénibilité alors que l’on aggrave la situation de milliers et de milliers de travailleurs.
Enfin, s’agissant du financement des retraites, je citerai Mme Karniewicz, syndicaliste reconnue, qui estime que le financement n’est pas assuré. Vous ne vous en sortez, si je puis dire, que par une astuce comptable car 15 milliards d’euros restent non financés, ce que vous appelez gentiment la contribution nette de l’État, ce qui veut dire endettement. Par ailleurs, vous faites main basse sur 34 milliards d’euros du Fonds de réserve des retraites. Ce qui signifie qu’en 2018 - et la France continuera après 2018, il n’y a aucun financement pour votre prétendu plan de réforme !
Le constat est simple : vous n’apportez aucune solution à cette vraie question.
Et je vous mets en garde très tranquillement : ce n’est pas ici par un vote acquis, dans les conditions que l’on sait que les choses se trancheront. C’est d’une manière ou d’une autre, par la décision du peuple dont vous ne devez pas oublier qu’il est le seul souverain ! "
Laurent Fabius