Par Oddjob
Fury Magazine est gonzo.
La sentence est sans doute terrible pour tous ceux qui ne voyaient dans ce blog qu’un catalogue de la branchitude sixties. Mais ce qui n’était au départ que suspicion, s’est avéré au fil du temps comme une évidence. Comment n’avais-je pas vu venir ce truc plus tôt ? Trop ébloui sans doute par les digressions sparkiennes de Goudurix et les sous-entendus érotico-marveliens de Hong Kong Fou-Fou…
Oui, Fury Magazine est bel et bien le fils caché d’Oncle Duke, Hunter S. Thompson, le lointain cousin de Rolling Stones, rien que ça !
Le souci constant de transcender l’information la plus banale pour en faire une introspection dans le passé de chacun de nous, passé nostalgique et fantasmé, et donc dans l’Histoire : tel est le credo de Fury Magazine.
Aussi, lorsque le rédac' chef me proposa de participer à cette aventure, la nécessité de produire un premier article sur le 9ème art s’imposa.
Car le constat est là, accablant : au milieu d’une surproduction de bandes dessinées de moins en moins affriolante, voire franchement repoussante chez certains éditeurs, les moments de joie et de bonheur de savourer une bonne histoire, de goûter un dessin alliant esthétisme et efficacité narrative, se font, hélas, de plus en plus rares.
Cependant, ça et là se dressent des îlots de résistance à la médiocrité ambiante (Toulon ne sera jamais qu’un port… et non le havre de paix de la vraie culture bédéphile). L’un des hérauts (héros ?) de ce mouvement se nomme Darwynn Cooke.
Après une superbe trilogie dédiée à revisiter the Silver Age des super héros de chez DC ; après une introspection sur la jeunesse de Batman, non moins intéressante ; après avoir embarqué Catwoman dans un casse sans retour, Cooke a mis récemment son trait – savant cocktail de ligne claire européenne et de classicisme yankee, Clerc meets Caniff – au service d’un polar, nerveux, violent et excessivement jouissif.
Oui joussif, car PARKER, sous-titré le Chasseur, album tiré d’un roman de Donald Westlake, est plus qu’une bande dessinée, c’est véritablement du cinéma en strips (si bien qu’au fil des pages on se surprend à entendre les notes d’une partition de Bernard Hermann…). Dès les premières pages, ou plutôt du générique, tous les ingrédients de la bonne vieille série B sont en place : New York, les sixties, des planches sans dialogue juste rythmées par la description de détails semble-t-il anodins (le trou dans la semelle, le filtre arraché d’une cigarette, le sourire aguicheur d’une serveuse de dinner…) et puis, et surtout, un noir et blanc… et bleu (celui de l’acier des chevrolets et des colts .45) des plus envoûtant. Idem pour le scénario, classique, carré et sans fioritures, avec sa femme fatale cupide et son partenaire bien décidé à ne pas partager le magot…
Ici, pas de cases déstructurées, de dialogues verbeux et prétentieux, pas de violence gratuite (avec torture à gogo et grosses giclées d’hémoglobine), pas de sexe non plus (sinon suggéré et donc d’autant plus provoquant) : bref ce n’est pas un polar à la sauce postmoderne. Cooke sait parfaitement recréer l’atmosphère d’une époque et d’un genre qui ne sont plus, hélas. Gloire lui soit rendue et tant pis si j’entends déjà certains esprits chagrins lui reprocher son penchant "nostalgique", comme en son temps le regretté Chaland. En tout cas, ce n’est pas à Fury Magazine qu’on lui jettera la première pierre.
Parker, le Chasseur – Richard Stark (Donald Westlake) et Darwyn Cooke – Editions Dargaud, 2010.