Tempête sur l'échiquier

Au premier abord, l'immobilité frappe. Penchées sur une situation figée, les têtes des protagonistes dodelinent à peine. Pourtant, en s'approchant, on distingue la violence de l'instant, là dans leurs yeux. Ils balayent l'échiquier de droite à gauche, anticipant les pires agressions à infliger au camp ennemi. Pas de pitié, il faut tuer le Roi et, par conséquent disent-ils tous, des grands maîtres aux psychologues, le mental de l'opposant.
Tous les mouvements, réels ou imaginés, qu'exécutent les figurines sur l'échiquier, captures, échanges, percées de pions sont autant de blessures qui se transcrivent mentalement dans les cerveaux     en lutte.
Mais les joueurs portent un masque d'impassibilité, que seul trahit parfois l'intensité de leur regard. Ils ne doivent rien montrer. Une telle faute constituerait une indication donnée à l'adversaire, erreur aussi grave qu'un oubli tactique ou un égarrement stratégique.
Dans ce duel, les armes sont cérébrales, les agressions psychologiques. La victoire revient presque toujours à celui qui aura réussi à mieux comprendre l'autre, à déceler ses forces et ses     faiblesses mentales.
La littérature, le cinéma et d'autres formes d'expression artistique l'ont bien compris, qui veulent sublimer les échanges entre leurs héros quand ils mettent en scène le jeu d'échecs. La     bataille sur les 64 cases devient emblématique d'une situation et des rapports de force ou, parfois, de séduction des personnages en présence.
Et miracle de ce jeu millénaire, les formidables progrès des sciences de l'information n'ont toujours pas réussi à ôter le suspens des confrontations avec les ordinateurs. Non, les mystères du jeu d'échecs et de ses liens avec l'humanité ne sont pas près d'être dévoilés, même par les calculs les plus puissants, même si la machine l'emporte un instant sur l'homme.
Tiré du Larousse du jeu d'échecs