A propos de Chouga de Darezhan Omirbaev 3 out of 5 stars
A Astana, Chouga, une jeune et très belle femme mariée à un scientifique et issue de la haute société kazakhe, tombe éperdument amoureuse d’Ablaï, un riche oisif qui travaille dans le cinéma. Pour lui, elle abandonne son fils et son mari, mais se sent en même temps terriblement coupable…
Librement inspiré d’Anna Karénine de Tolstoï (1877), Chouga est l’adaptation la plus épurée que l’on puisse trouver au cinéma du célèbre roman de l’écrivain russe. Le cinquième long métrage d’Omirbaev reprend pourtant la trame d’Anna Karénine avec la confrontation de plusieurs histoires d’amours aux fortunes diverses.
Transposé dans le Kazakhstan d’aujourd’hui, Chouga est avant tout le portrait psychologique d’une femme tiraillée entre sa passion adultère et l’amour qu’elle porte à son fils, entre sa volonté de s’émanciper et ses remords d’avoir trompé son mari.
C’est un film très lent, qui résume avec un sens de l’épure désarmant la complexité de l’intrigue du roman de Tolstoï. Au-delà du portait d’une femme romantique (on pense par endroits à Emma Bovary) et en parallèle de son dernier long métrage, La route, qui date de 2001, Chouga est aussi un regard sur l’évolution du Kazakhstan et d’un pays indépendant depuis seulement 1991. Une république de l’ex-U.R.S.S. dont la capitale économique et culturelle est devenue Astana (et non plus Almaty) depuis le changement de régime politique et le passage au capitalisme.
Ainsi, pour bien marquer qu’il s’agit d’un portrait contemporain de femme, l’action de Chouga se situe-t-elle à Astana. De même, le personnage d’Ablaï est emblématique des questions qu’Omirbaev (se) pose sur la société kazakhe d’aujourd’hui. Il y un côté frivole chez Ablaï qui fait écho à celui du capitaine Vronski dans Anna Karénine.
Et Omirbaev observe et s’interroge sur les effets du passage au libéralisme, du changement radical de société et de moeurs qu’il a entrainés comme chez Ablaï. Si le jeune homme semble porter un regard indifférent sur Chouga, il fréquente aussi des stripteaseuses dans des clubs, s’entoure de tas d’écrans, de moniteurs vidéos comme pour se créer un univers et un environnement tangibles. Jusqu’à montrer à Chouga des images complaisantes et malsaines du tabassage qu’il a mis en scène où ses amis le vengent de ses propres agresseurs qu’il a retrouvés…
Mais le roman de Tolstoï n’est-il pas le prétexte pour essayer de rendre compte d’une société dont le mélange des genres est si complexe et difficile à cerner même pour un Kazakh ?…
Comment passer d’un régime communiste qui pensait tout en groupe et ne laissait presque pas de place à la vie intime ni au plaisir personnel à une société qui, inversement et brutalement, est devenue si individualiste et centrée sur elle-même ? Ablaï est un personnage de son temps, qui aime une certaine superficialité. Son manque d’ambition et ses moeurs médiocres déçoivent en tout cas. Comme la goujaterie qu’il inflige à Chouga (aussi sensuelle que bien dirigée Ainur Tourganbaeva). La distance avec laquelle Omirbaev parvient à mettre le désir, la forme d’érotisme et l’attirance que Chouga suscite chez le spectateur est remarquable.
Mais Omirbaev est avant tout un fin observateur, en aucun cas nostalgique ni un juge du comportement d’Ablaï. C’est quelqu’un qui essaye de comprendre le monde et la société kazakhs dans lesquels il vit. Et qui comme nous, a sans doute bien du mal à s’y retrouver…