Nous n’avons pu assister à l’autre concert de Gustavo Dudamel et du Philharmonique de Vienne (Brahms Ouverture Tragique, Schumann Concerto pour violoncelle et orchestre, Dvorak Symphonie du nouveau Monde) qui au dire de tous fut grandiose, mais pour ce concert de clôture du Festival de Lucerne 2010, le Festival a choisi aussi le Philharmonique de Vienne et Gustavo Dudamel. C’est une occasion festive de proposer un programme original.Le programme propose en effet des oeuvres célébrissimes (Ouverture de la Pie Voleuse, Boléro de Ravel) et des oeuvres peu ou pas connues du mélomane, comme ces Tres versiones sinfónicas de Julián Orbón (1925-1991) ou le Divertimento for orchestra de Leonard Bernstein composé en 1980 à l’occasion du centenaire du Boston Symphony Orchestra. la soirée a été l’occasion de vérifier une fois de plus que Gustavo Dudamel s’installe au sommet des chefs recherchés: il y a six ans, en 2004, il était le vainqueur du Concours Gustav Mahler de Bamberg et aujourd’hui, il dirige non seulement tous les grandes phalanges de ce monde (il dirgera pour le concert de la Saint Sylvestre le Philharmonique de Berlin), mais est aussi directeur musical du Gothenburg Symphony Orchestra, l’un des bons orchestres du vieux continent et du Los Angeles Philharmonic, l’un des orchestres américains de référence, mais surtout, il déplace les foules avec une prise peu commune sur le public et les orchestres: voir dans les coulisses les musiciens de l’orchestre défilant pour l’embrasser ou le saluer était édifiant, d’autant que cette célébrité somme toute nouvelle s’accompagne d’une chaleur communicative et d’une gentillesse qui n’a pas vraiment changé depuis ses débuts, puisque pour ma part, j’ai eu la chance de l’interviewer pour la revue italienne AMADEUS à l’automne 2004,à l’occasion d’un concert à Bamberg, suite à sa victoire au concours Mahler, quelques mois auparavant.
Dudamel a pris les fonctions de chef de l’orchestre Simon Bolivar des jeunes du Vénezuela à 18 ans, en 1999, et son travail extraordinaire avec cet orchestre lui a sans doute été une école de la direction irremplaçable, geste net, précis, lecture des intentions du chef par des mouvements sans ambiguité, et en même temps énergie communicative due à une fougue juvénile.
De plus, il est devenu une sorte de symbole, celle de la re(co)naissance de la musique sud-américaine, en imposant dans les programmes qu’il propose très souvent des pièces du répertoire sud-américain, comme cette oeuvre de Julián Orbón aujourd’hui. Que l’oeuvre soit portée, pour la première fois sans doute (il ya de bonnes chances puisque je ne l’ai pas vérifié) par l’immense Philharmonique de Vienne est aussi symbolique. Il est symbole aussi de l’orgueil culturel et identitaire de cette amérique latine qui peu à peu se relève d’années sombres et d’un pays, le Vénezuela, où grâce au génial Sistema de José Antonio Abreu, 400 orchestres et 250000 jeunes pratiquent la musique classique, au point que l’on s’intéresse en Europe à en appliquer le modèle, notamment en Italie sous l’impulsion d’Abbado. Sur le continent du foot, on a choisi la musique classique pour créer du lien social et de l’orgueil national (il ya toujours des Vénézuéliens sympathiques qui agitent des petits drapeaux dans les concerts de Dudamel), et sur le vieux continent, là où est née la musique classique, on a choisi le foot, avec les résultats que l’on a vus en France…N’épilogons pas. Tout n’est sans doute pas rose au pays de Chavez (qui n’a rien à voir avec le sistema, créé bien avant lui, mais qui sait aussi surfer sur la vague).
Arpès une exécution très dynamique de l’ouverture de la Pie Voleuse, où Dudamel maîtrise parfaitement l’art du crescendo -on se prend à rêver de le voir plus souvent dans la fosse, lui qui privilégie le podium- et où l’orchestre immédiatement s’affirme avec ce son inimitable des cordes et leur ductilité légendaire, justement arrivent les Tres versiones sinfónicas de Julián Orbón (1925-1991), compositeur né en Espagne, émigré à Cuba, puis aux Etats Unis un an après l’arrivée de Fidel Castro. Dans cette pièce, composée en 1953, Orbón s’appuie sur des formes anciennes, la musique du XVIème siècle espagnol dans Pavana (pièce 1), la musique des XIèmes et XIIème siècles et notamment la naissance de la Polyphonie et Pérotin (partie 2, conducto) et les rythmes nés des influences africaines de la musique américaine, avec une utilisation très présente de la percussion (xilofono, partie 3). A ces inspirations premières se mèlent l’influence de Copland, maître de Orbón. j’ai été pour ma part frappé de la similitude de la deuxième pièce avec le style de Sibelius, notamment des échos de sa symphonie n°2: rêve ou réalité, je ne sais, en tous cas cela s’est imposé à moi à l’audition. Il ya eu de très beaux moments au concert, où le Philharmonique de Vienne montre évidemment sa parfaite maîtrise technique, le début de la deuxième pièce, très lente,utilisant lles bois , repris bientôt par les cordes et les cuivres était vraiment étonnant. je retiendrai aussi dans la dernière pièce le dialogue percussions/violoncelles. L’ensemble est apparu mériter grandementd’^tre plus souvent entendu en concert et l’interprétation vibrante, mais jamais démonstrative de Dudamel, donne une couleur toute particulière à l’ensemble.
Un autre très grand moment a été le Divertimento for orchestra écrit par Leonard Bernstein pour le centennaire du BSO (Boston Symphony Orchestra). On reconnaît immédiatement la générosité de la musique de Bernstein, avec de lointains souvenirs de West Side Story (la Samba!) dans ces courtes pièces, presque des miniatures, très séparées d’abord (pièces d’une minute ou deux, avec une valse merveilleuse de poésie - magnifique premier violon en contrepoint- en n°2, puis à la fin les éléments se superposent, à peine 11 mesures pour Sphinxes, sorte de version minimale de “An unanswered question”, construite sur une série dodécaphonique de Schönberg inversée, et se superposant au rythme très jazzy du blues et de la marche finale construite en canon, hommage à tous les chefs du BSO disparu (In memoriam: March-The BSO forever) . L’exécution en est exemplaire, au point de provoquer chez le public des murmures d’approbation et d’admiration, tant les intentions et l’ironie de Bernstein (mimant les musiques de film à la Hitchcock) sont soulignées et immédiatement comprises. Un grand moment, qui me fait dire que Dudamel prend vraiment le chemin de Bernstein, tant il semble faire corps avec cette musique.
Légère déception dans la Pavane pour une infante défunte, une pièce qui peut être bouleversante, par son alternance entre le mystère initial et un final plus lyrique.le cor initial a été vistime de quelque petite imprécision, mais tout le début m’est apparu trop lumineux, trop clair, alors que la partie finale à la reprise du thème, a retrouvé le chemin d’une vraie et profonde émotion.
En revanche, l’interprétation du Boléro restera dans les mémoires. D’abord, par la mécanique d’horlogerie (on est en Suisse !
Au final, un bis (la Valse du Divertimento de Bernstein, encore un pur moment de bonheur, de temps suspendu), l’habituelle désormais standing ovation, et la certitude toujours plus installée que Gustavo Dudamel est un très grand chef. Il dirige Carmen à la Scala en novembre. Nous y serons.
Nous serons aussi aux divers rendez-vous de Lucerne, et la nostalgie de la fin des festivités ne doit pas masquer la joie des moments passés sur les rives du lac des Quatre Cantons, dans cette salle magique qui furent parmi les moments les plus forts de cette année. Il faut aller à Lucerne.
Information: Vous pouvez voir le concert sur le site de medici.tv et il sera retransmis par ARTE le 10 octobre prochain à 19.15