Henry de Montherlant est mort – volontairement – depuis presque trente ans. Engagé volontaire en 1918, rengagé volontaire en 1939, il a soutenu sa patrie malgré son désir d’indépendance. Mais qui aime bien châtie bien. Il n’a cessé de stigmatiser la perte de vitalité française depuis 1918, le laisser-aller moral, la lâcheté petite-bourgeoise.
Lui, aristocrate picard dont une branche remonte à la noblesse de Castille, il a cherché les sources : l’enfance dans la ‘Relève du matin’, la soif dans ‘Aux fontaines du désir’, l’ailleurs stimulant dans ‘Un voyageur solitaire est un diable’, les raisons de vivre et de mourir dans ‘Mors et vita’, l’éthique personnelle dans un siècle matérialiste avec ‘Service inutile’.
Devant la persistance de la société de Cour, du conformisme bachoteur des Grandes écoles, de l’hypocrisie devant l’argent, des coups politiques permanents, de l’histrionisme télé et footeux, on se dit que 2010 ressemble étrangement à 1940. Et que Montherlant a écrit quelques pages d’une morale française éternelle. Citations :
« Car je méprise moins la dernière des bigotes que ceux qui, levant la tête et se prétendant libres, vacille devant la première liberté qu’on leur offre. » Aux fontaines du désir 1925, p.244
« C’est suivre les autres sur leur terrain, que répondre à l’aiguillon ; c’est se faire manœuvrer. Tenons que l’absence d’amour-propre est quelquefois vertu, si laisser dire est toujours force de caractère. Il montre le courage qu’il faut pour ne pas céder à cette terreur d’être seul, ou seulement de la minorité, qui est une des plaies de la France d’aujourd’hui. » Service inutile, 1935 p.668
« Un imbécile est fait pour être homme de parti : ne voyant que sa vérité, il ne saurait en renier d’autres. » Aux fontaines du désir 1925, p.280
« Quant à ce qui est simplement hors du commun, cela paraît ‘ridicule’. Surtout en France, nation petite-bourgeoise et qui adore le petit. Dante, Michel-Ange, Shakespeare, Byron, Wagner ont été d’abord jugés ridicules, ici, parce que « bizarres », c’est-à-dire autre chose que petits-bourgeois. Le XVIIè siècle est pour nous le grand siècle parce qu’il a affadi tout ce qu’il a touché : l’antiquité comme l’épopée moresque. » Aux fontaines du désir 1925, p.260
« Cette grande conspiration française contre la naïveté et le naturel ! Les mots d’ordre du primaire ne sont pas si différents de ceux du classique : pas de lyrisme, pas de fantaisie, pas de vision vraie de la réalité, pas d’expression directe de ce qui est ressenti, tout cela est ou ridicule ou choquant : un peuple avec perruque, aujourd’hui avec certificat d’études, ne saurait le supporter. Le jargon de nos petits intellectuels avancés sert un idéal bien opposé, certes, à celui des beaux esprits de Versailles ou à celui des scolastiques : n’importe, ‘tarte à la crème’ et ‘baralipton’ y montrent le nez. Le lit de Procuste sur lequel un professeur de 1928 étend une page d’écrivain, pour la mutiler de tout ce qu’elle a de vigoureux et d’inspiré, ou une copie d’écolier, pour y barrer rageusement tout ce qu’elle a de personnel et qui sente la valeur, c’est un meuble national, le même depuis des siècles : le duc de Roannez y étendit Pascal, Fontanes y étendit Chateaubriand, lequel y avait étendu Dante, etc. Quand Hugo et Zola veulent parler du peuple, ils en font une description « littéraire », c’est-à-dire fausse, tout comme un auteur de bergeries du XVIIIè siècle, et c’est seulement parce que cette description est fausse qu’elle a plu et qu’elle a été acceptée. » Service inutile, 1935 p.610
« Montre-moi ton chien, je te dirai qui tu es. Une certaine petite bourgeoisie française, en supportant, que dis-je, en adorant le contact journalier, la cohabitation avec d’immondes roquets, que nous ne regardons qu’avec nausée, nous ouvre un jour sur elle-même. Il y a dans le mystique musulman Al Hallaj l’histoire d’un chien qui suivait un homme, et qui était l’âme de cet homme. Le roquet de cette petite bourgeoisie française, c’est son âme. » Service inutile, 1935 p.641
Henry de Montherlant, Essais, Gallimard Pléiade, 1963, occasion 45€