Facebook, ce nom sonne différemment aux oreilles des uns ou des autres. Réseau social, site de rencontre, site de partage, outil de travail ou de perte de temps, une chose est sure: il bénéficie d’une notoriété internationale, et ne laisse pas indifférent. Comment est-on arrivé là, qu’est ce que cela a changé dans nos vies, et qu’est ce que cela changera encore, c’est ce que je vais tâcher de vous expliquer en quelques paragraphes.
Depuis qu’il existe, l’Internet est passé par différentes phases. La première phase correspondait à celle d’un usage réservé aux laboratoires et aux chercheurs, durant les années 80: le mail et les newsgroups suffisaient alors. La deuxième phase fut celle des accès propriétaires, via des services d’accès privés tels que CompuServe ou AOL, dotés de leurs propres services, de leurs propres forums et de leurs propres applications. La troisième phase fut celle de l’expansion, vers le milieu des années 90. Elle fut marquée par le déclin des services précédents, l’apparition d’une multitude de FAI avant leur consolidation autour d’acteurs prépondérants, et la domination d’un annuaire et de son moteur de recherche associé, Google. La quatrième phase fut celle du web 2.0, l’expansion de sites communautaires, de blogs, de plateformes d’avis de consommateurs, bref la transformation du web en web social. La cinquième phase, vient de commencer, et ce sera celle de Facebook.
Pour quelles raisons? En voici quelques unes.
- L’ouverture. Contrairement à nombre de sites ou de plateformes communautaires, dont le modèle économique est basé sur l’utilisation des services proposés, Facebook a basé son modèle de revenus sur la publicité, tout comme Google. De ce fait, Facebook ne met presque aucune barrière à la création de nouveaux profils, ou à la mise en relation entre profils. Le résultat est étincelant: 500 millions de profils (peut-être un peu moins, mais qu’importe, c’est l’ordre de grandeur qui compte) en cinq ans.
- La diversité des services. D’un simple trombinoscope, Facebook s’est habilement transformé en site de partage de photos ou de vidéos, puis en espace applicatif, un peu à la manière d’un AOL ou d’un CompuServe à leurs plus belles heures. Cette transformation est le résultat là encore d’une stratégie d’ouverture réussie, celle aux API de développement proposées dès 2008 aux développeurs. Aujourd’hui, plusieurs milliers d’applications sont proposées, certaines étant financièrement autonomes du fait d’une certaine liberté offerte par Facebook en matière d’affichage publicitaire.
- L’imperméabilité à Google. C’est là aussi l’une des grandes forces de Facebook: plutôt que de laisser le moteur de recherche indexer ses contenus, Facebook se contente de laisser indexer les pages de profil de ses membres. Du coup, il est possible de retrouver n’importe qui depuis une requête Google, mais pour engager la discussion avec cette personne, il faut forcément passer par Facebook. Cet avantage est double: aujourd’hui, Facebook est le seul annuaire universel, doté d’une messagerie unifiée, une sorte de pages blanches globales, avec ses 500 millions de profils officiels, qui permet de contacter à peu près n’importe lequel des membres à l’autre bout de la planète. Mais en plus, Facebook est le premier site à avoir coupé l’Internet en deux, de manière significative: quelques milliards de pages indexées par Google d’un côté, et quelques milliards de pages où Google n’a aucun droit d’accès, et où Facebook règne seul en gestionnaire de l’espace publicitaire.
- La simplicité. C’est l’une des grandes forces de Facebook. Pas besoin d’avoir un bac+7 pour utiliser Facebook (ce serait même plutôt un frein…), Facebook s’adresse à la masse, à ceux qui maîtrisent Internet tout comme ceux qui n’en font qu’un usage peu fréquent. Le modèle de page Facebook est spartiate, les emplacements publicitaires ne bougent pas, ne clignotent pas, n’agressent pas l’utilisateur. Les applications mobiles, proposées relativement tôt (sur iPhone ou sur BlackBerry) multiplient à l’infini les occasions de se connecter à la plateforme.
- L’autorité. Qu’on le veuille ou non, Facebook est un système autoritaire. L’autorité première, c’est celle de Facebook, qui peut décider de supprimer l’accès d’un de ses membres ayant outrepassé les droits offerts, apr une démarche de spammer, par exemple, ou sur dénonciation d’un usage abusif. Cette autorité permet à Facebook d’imposer ses vues, ses directives, et d’éviter les dérapages: pas ou peu de contenu pornographique, raciste ou pédophile sur Facebook. Pas ou peu de virus. Pas ou peu de spams. L’internet sans risques.
D’une certaine manière, un peu comme le craint Jonathan Zittrain dans son livre « The future of the Internet… », Facebook est en train d’opérer le grand retour aux plateformes propriétaires, un AOL ou un CompuServe du 21e siècle, mais sans tomber dans les pièges qui ont marqué le déclin des deux précédents. Facebook ne se ferme pas aux autres sites, il leur propose même des passerelles alléchantes, comme le bouton « J’aime » que tout site Internet peut ajouter, pour alimenter un peu plus le contenu … Facebook. Ou encore Facebook Connect, qui offre un système d’authentification sur lequel tout site Internet peut s’appuyer, au risque de perdre un peu de son contrôle sur son propre outil de CRM, mais bénéficiant de ce fait de possibilités virales inespérées.
Vous voyez où je veux en venir: Facebook est en train de créer un Internet dans l’Internet, découpant le web en une partie où Google peut faire régner sa règle – celle d’un annuaire gratuit financé par la publicité – et une autre où seul Facebook entend régner. Cette coupure, mieux, cette fracture, de nombreuses entreprises ont surement rêvé d’y parvenir durant les dix dernières années: de Yahoo! à Microsoft, en passant par MySpace. Seul Facebook y est parvenu, et de manière durable.
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Qu’est ce que cela change de nos pratiques de l’Internet et quels sont les prochaines étapes dans la stratégie de « fracture » mise en place par Facebook? Voici quelques pistes qui, me semble-t-il, interviendront un jour ou l’autre (attention, je ne suis pas dans la tête de Zuckerberg, ce ne sont que des hypothèses…)
- Une messagerie plus puissante. A ce jour, la messagerie est le parent pauvre de Facebook. L’outil proposé par Facebook ne dispose pas de mécanismes de classements, ni de tous les raffinements qui font la force des messageries électroniques modernes. Mais ne vous y trompez pas, Facebook possède une arme redoutable: il est maître de sa messagerie de bout en bout, ce qui signifie qu’il peut faire ce que fait GMail par exemple (la pub contextuelle sur le contenu du message), et même mieux, proposer l’envoi de binaires ou de programmes par email. Bien entendu, il ne s’agira pas de vrais programmes, mais… d’applications Facebook, certifiées par Facebook.
- Un moteur de recherche plus puissant. Malgré ses qualités actuelles (suggestions de résultat au fur et à mesure de la frappe, bien avant Google d’ailleurs, résultats triés en pages, profils ou applications), il me semble que ce moteur est encore pauvre, au moins en terme d’interface. Les résultats ne peuvent pas être triés par taille, pertinence ou date. Il n’y a pas de possibilité d’opérateurs booléens, si utiles quand on veut filtrer les résultats.
- Le web documentaire. Pour l’instant, les premières tentatives pour créer un contenu documentaire, par aspiration de pages Wikipedia, n’a pas été concluant. Mais pour empêcher les utilisateurs de Facebook de basculer dans le monde Google lors de recherches aboutissant sur Wikipedia, l’intégration de ces contenus, au moins dans les résultats de recherche, interviendra un jour ou l’autre.
- Des applications professionnelles. Je ne suis pas certain que Facebook fera de grands sourires au monde des applications professionnelles: ce n’est pas là que se situe son coeur de cible. De la même manière, je ne crois pas que Facebook concurrencera LinkedIn ou Viadeo: peu de gens peaufinent leur profil professionnel sur Facebook, et la tentative de recréer un réseau professionnel depuis les informations Facebook n’ira pas loin. Mais quelques applications arriveront sans doute pour faciliter la vie au jour le jour: prise de notes, rédactions de textes, etc. L’idée étant toujours de maintenir les internautes actifs dans Facebook, et non ailleurs. Il se peut fort bien que de telles applications soient développées par des sociétés tierces, et non par Facebook.
- Le commerce en ligne. Il me semble que l’apparition de sites d’e-commerce dans Facebook même arrivera un jour où l’autre. Imaginez le potentiel offert par un tel système: mes amis sont informés de mes achats au moment même où je les réalise: achats culturels, voyages, sushis ou pizzas à livrer. Dans un premier temps, Facebook attirera le petit commerce de proximité, qui, au lieu de payer une fortune aux agences web en référencement sur Google, gagnera rapidement en notoriété et en proximité via la pub Facebook et les mécanismes de publication de statuts. Plus tard, les grandes plateformes y viendront, pour ne pas laisser les précurseurs élargir leur activité et prendre des parts de marché sur les acteurs restés sur l’Internet-Google.
Voilà, cet article n’est surement pas exhaustif, multiples sont les raisons du succès de Facebook et les nouveautés qui apparaîtront sur le seigneur des réseaux. Mais une chose est sure: Facebook aura modifié de manière radicale la consommation de l’Internet sur cette planète. Il est temps, pour ceux qui ont négligé ce changement majeur, de le prendre en compte.
Mise à jour 20/09: à peine cet article est-il écrit qu’il devient incomplet, avec la rumeur d’un téléphone Facebook, un appareil plus simple qu’un iPhone, qui s’appuierait sur la base de contacts Facebook. C’était évident, et Dave Winner explique parfaitement pourquoi.
Autre point de vue, celui de Serge Soudoplatoff, qui voit Facebook comme le futur opérateur de l’Internet. Nos avis se rejoignent, Facebook est en train de gagner une bataille que Google perd peu à peu, sur le long terme cependant.