Wikipédia : CAr au tournant

Publié le 19 septembre 2010 par Pierrotlechroniqueur

Le Comité d'arbitrage (CAr pour les intimes) se trouve en effet à un tournant de son histoire, avec les premières élections, à partir de demain, à se dérouler après la Prise de décision l'ayant réformé. Déjà, un constat, évident, s'impose : 10 candidats pour 10 postes, avec le risque que tous ne soient pas élus et que le Comité ne soit donc pas au complet, ce n'est pas la panacée. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette difficulté : 10 postes d'un coup, c'est trop (et c'était prévisible...), la date (le mois de septembre, la rentrée) n'est pas idéale, certains arbitres sortants ont disparu de la circulation, ou sont manifestement mécontents de diverses choses, et ne souhaitent donc plus poursuivre l'aventure (3 sortants sur 10 seulement se représentent : c'est très peu !) et enfin, last but not least (comme on dit au Québec), la défiance à l'encontre du Comité me semble atteindre des sommets, ce qui a de quoi refroidir les ardeurs.

Certes, les critiques à l'encontre du Comité et/ou des arbitres ne sont pas nouvelles, mais elles atteignent depuis quelques mois une ampleur inégalée (ce qui avait d'ailleurs justifié la tentative de réforme, on va y revenir), à tel point que la pérennité du Comité est maintenant franchement remise en question. Il ne s'agit peut-être que d'un problème conjoncturel, qui serait (j'insiste sur le conditionnel) dû au fait que les derniers comités ne se sont pas montrés à la hauteur de la tâche. Je rejoins partiellement cette analyse, ayant été étonné par pas mal de choses ces derniers temps. Mais, compte-tenu de la récurrence des critiques depuis la création même du Comité, je crois qu'il faut envisager des causes structurelles à la situation actuelle. Autrement dit : le CAr est-il en crise ? Si oui (et disons-le tout de go : oui !), pourquoi ? Et dans ce cas, et c'est le plus important, quelles solutions envisager ?

Faisons comme pour les dissertations, et annonçons le plan pour que vous puissiez suivre, chers lecteurs(trices), le fil du raisonnement (il n'en ressortira pas forcément quelque chose de pertinent, c'est sûr, mais alors vous me le direz). Je reviendrai d'abord sur le péché originel qui a selon moi prédestiné le CAr, à savoir la volonté de s'inspirer de la Wikipédia anglophone (I), puis je reviendrai brièvement sur l'histoire du CAr et de ses couacs, y compris récente, pour essayer de mieux cerner ce qui n'a pas été, et sur la réforme mentionnée plus haut (II), avant de modestement envisager quelques pistes de réflexion pour tenter de corriger le tir (III).

I. Le péché originel

Le Comité d'arbitrage est né sur la Wikipédia francophone en 2005. Il est clairement inspiré de l'Arbitration Committee (ArbCom) des amis anglophones. L'ArbCom, fondé un an auparavant sur initiative de Dieu en personne, a pour ambition de régler par la médiation et, évidemment, l'arbitrage les conflits au long cours entre contributeurs (sans traiter du domaine éditorial). Le but n'est pas de sanctionner, mais bel et bien de régler les différends (j'insiste sur ce point). Le premier règlement de fr s'inscrit plus ou moins dans cette logique, même si les sanctions à décider sont déjà évoquées. Le problème est que, au fil des ans, mais même dès le début, le Comité a donné l'impression d'être davantage une instance coercitive (sanctions, y compris plusieurs bannissements) qu'un organe de médiation. La plupart des décisions arbitrales se sont attachées à évaluer les comportements et responsabilités des uns et des autres, et à décider des sanctions conséquentes. En revanche, les véritables recherches de médiations, qui nécessiteraient une interactivité plus poussée avec les parties, furent rares. À tel point que le règlement actuel ne s'y attache plus. J'appelle "péché originel" cette volonté de se constituer en arbitres, sur le modèle de en, alors que ces derniers furent généralement des juges. Il en a résulté pendant des années des décisions aux aspirations contradictoires (entre recherches de solutions et simples décisions de sanctions), entretenant le flou sur les "jurisprudences" (et une inconstance des décisions rendues), les prérogatives des arbitres et la répartition des compétences avec les administrateurs (problème essentiel toujours non résolu, comme je l'explique plus loin).

Cela peut paraître de la sociologie à 0,30 euro, mais je crois que ces problèmes originels sont tout simplement dus à une différence culturelle fondamentale. La justice (en vrai, hein) le montre : les anglo-saxons, notamment avec leur système accusatoire, sont portés vers l'arbitrage et les négociations. Le système inquisitoire français est beaucoup plus directif. Et je crois que ces différences sociétales IRL transparaissent sur Wikipédia. Les contributeurs francophones sont moins portés sur le compromis, les arbitres ne peuvent avoir qu'en exemple que le système judiciaire français (en plus, le réglement, jusqu'à la réforme, prévoyait la possibilité de se référer aux grands principes du droit). Chercher un arbitrage à l'anglaise était peut-être contre-nature, d'où un déséquilibre à la base, et le grand écart entre les aspirations et les faits. Comme je le conclus plus bas, il serait sans doute temps d'acter cet état de fait.

II. Un peu d'histoire : d'un CAr en dents de scie à une réforme pyromane

Plus prosaïquement, l'un des problèmes majeurs désormais régulièrement soulevés est le temps trop long mis pour rendre les décisions arbitrales (parfois jusqu'à six mois). Les premiers comités traitaient pourtant les cas soumis dans un délai raisonnable. Tel n'est plus le cas depuis 2-3 ans. Facteur humain ?  Pas exclusivement, loin s'en faut (sinon, ce problème ne se serait pas perpétué après chaque renouvellement). La raison est plutôt à chercher dans l'agrandissement quantitatif de la communauté et donc des problèmes qui vont avec. Concrètement, en 2005 ou 2006, les cas à traiter étaient très simples (Gemme, Floreal...), ce qui n'avait rien à voir avec les déchirements communautaires des dernières années (comme autour de Aliesin, Alvaro-Grimlock, EL et MaCRoEco, plus récemment Patrick Rogel, Addacat, ou encore Meodudlye). D'ailleurs, on constatera que le seul arbitrage ayant cette année été traité avec un délai relativement décent est celui où les responsabilités étaient (de ce que je vois, après lecture rapide) les plus simples à établir, et les conséquences sur la communauté très circonstanciées. Pas un hasard.

Le fondement même des décisions et des recevabilités est désormais critiqué. À l'origine, le Comité avait réussi à imposer une certaine autorité, en tout cas à acquérir une légitimité. C'est de moins en moins le cas : les polémiques (critique de l'arbitrage contre Meodudlye, de la non-recevabilité de Sardur-Ironie ou de Addacat-Hégésippe) le sapent. Son efficacité, sa pertinence et même son utilité sont ouvertement remises en cause. Selon ses détracteurs, il ne remplit donc plus son office en ne préservant plus la communauté d'éléments jugés problématiques, ou en n'effectuant plus le contrôle des actions administratives comme naguère (problème peut-être en passe d'être résolu, au moins partiellement).

Le résultat est qu'un certain désenchantement à l'égard de cette institution autrefois respectée règne. De moins en moins d'utilisateurs sont près à devenir arbitres (la dernière fois, certains y ont été à reculons en constatant le manque de candidats), de moins en moins d'arbitrages sont lancés, et, pour ne pas être en reste, les conflits ne sont pas résolus (évidemment) tandis que leurs protagonistes reçoivent de l'eau tiède en guise de décisions.

La répartition des compétences entre administrateurs et arbitres, toujours aussi imprécise, voire inexistante, est aussi à l'origine de nombreux problèmes. Le Bulletin des administrateurs a dernièrement été le théâtre de plusieurs propositions de blocages communautaires, mais il n'a pas été rare qu'une bonne partie des administrateurs ait suggéré de renvoyer les cas devant le comité d'arbitrage, propositions désapprouvées par d'autres. De même, la plupart des administrateurs se refusent à traiter de conflits récurrents entre deux contributeurs pour mieux indiquer le chemin du Comité aux intéressés. D'un autre côté, ils traitent parfois par de courts blocages un échauffement ponctuel. Pour les autres problèmes minant depuis longtemps déjà le Comité, je vous renvoie ici. Ils sont toujours d'actualité, surtout en ce qui concerne les luttes de pouvoir et le mépris des critiques. Un mépris qui passe de plus en plus mal, comme je l'ai dit.

Il est regrettable que la récente réforme n'ait pas traité ces graves questions. De manière générale, elle a été au mieux superficielle et cosmétique, au pire elle a aggravé la situation, comme l'actuel Comité l'a dernièrement si bien illustré.

Ce que tout le monde en retient, de cette réforme, c'est l'officialisation d'une pratique antérieurement existante : l'arbitrage communautaire. Ce n'était pourtant ni une obligation, ni une urgence. Surtout que cette pratique a démontré à quel point elle pouvait être source de tensions supplémentaires (voir l'arbitrage Moyg-Gustave Graetzlin, au hasard...), de combines en tout genre (laisser à quelqu'un de moins impliqué le soin d'initier la procédure contre "l'ennemi") renforçant ainsi le clanisme. Quant aux autres dispositions, elles étaient censées permettre la réduction des délais et la fin de la zombification des arbitres. Résultats : les arbitrages sont toujours aussi longs, voire pire (El Comandante-Olmec date de mars...), les arbitres "zombies", ou supposés tels, ont été virés mais pas remplacés - je ne suis pas sûr qu'un Comité avec encore moins d'arbitres permette d'aller plus vite - quant au passage du mandat à six mois, il fait que les dix postes ne seront très probablement pas pourvus au prochain Comité.

III. Quelles solutions ?

Oui, c'est vrai, Tonton Pierrot est bougon, Tonton Pierrot critique beaucoup, mais il ne propose pas grand chose, comme je vous entends déjà le penser. Allons allons, ne faites pas les innocents, je vous entends, je vous dis. 

Il faut dire que le sujet est un sac de noeuds comme il n'en existe pas tant que ça sur Wikipédia, et que de nombreuses pistes ont déjà, et en vain, été explorées. Mais j'ai quand même quelques petites idées, qui valent ce qu'elles valent, et que je vais vous indiquer. Elles ne règleront pas tous les problèmes, c'est certain - le CAr ne sera de toute façon jamais parfait - mais j'ai la faiblesse de croire que, si on les appliquait cela irait mieux (en même temps, je ne proposerais rien sinon !).

  1. Il faut que le Comité assume enfin sa nature et se présente tel qu'il est, avec des objectifs en adéquation. À savoir qu'il est une quasi-juridiction habilitée avant tout à décider de sanctions. Ce qui suppose au préalable une médiation digne de ce nom. Enfin. Qu'on en finisse avec les grandes aspirations plus que jamais démenties par les faits. Et surtout par les décisions rendues. Le Comité interviendrait ainsi après échec d'une médiation essayée par un organe dédié (qui reste encore à construire, je sais) pour déterminer les responsabilités des uns et des autres et prendre des mesures répressives. Bien entendu, cela implique de se recentrer sur les litiges individuels. La communauté n'étant pas à proprement parler une partie, exit les arbitrages communautaires. Et ses effets pervers.
  2. Et c'est imbriqué avec le premièrement. Il faut que les compétences soient enfin explicitement réparties. Pour cela, on peut s'appuyer sur un embryon de séparation des pouvoirs telle que la conçoit Montesquieu (un embryon seulement, n'allez pas croire que je pousse les feux pour que Wikipédia devienne une démocratie. Mais je ne rejette pas par principe tout ce qui tend vers cela si le résultat est une amélioration des choses. Soyons pragmatiques). À la communauté le pouvoir normatif (Prises de décision, édition des règles et recommandations), aux administrateurs le pouvoir exécutif et au Comité d'arbitrage l'autorité judiciaire. Je sais qu'en principe, cette pseudo- séparation est déjà plus ou moins perçue comme telle. Mais il faudrait l'établir, et réellement la faire fonctionner. Concrètement, cela peut mettre en question, par exemple, l'existence du blocage dit communautaire. Ou en tout cas son application actuelle par les seuls administrateurs.
  3. Il faut être plus souple dans le cadre procédural, afin d'assurer une meilleure gestion au quotidien du Comité et d'ainsi accroire son efficacité et sa rapidité. Je propose que, si le mandat d'arbitre doit rester à six mois, les arbitres aient la faculté d'organiser n'importe quand des élections partielles s'ils en ressentent le besoin. Dans la même optique, je suggère de mettre fin au roulement prédéterminé. Sauf récusation par les parties - et cette récusation porterait alors sur n'importe quel arbitre du Comité - chaque arbitre s'ajoute où bon lui semble. On peut aussi envisager de faciliter les arbitrages à petit comité (3 arbitres, pour certains cas peuvent être amplement suffisants).
  4. Faciliter l'étude de la recevabilité. Pourquoi pas un comité ad hoc qui y serait affecté ? 4 ou 5 arbitres parmi le Comité. Ensuite, si possible (restons souples, comme indiqué précédemment), le fond serait étudié par les autres.
  5. Pas d'appel, mais instituer une possibilité de révision en cas d'éléments nouveaux. Ceci pour limiter la portée des éventuelles critiques (de plus en plus nombreuses actuellement) en offrant la sécurité d'un possible changement tout en n'altérant nullement l'efficacité. 

Voilà. Si vous êtes arrivés jusqu'ici, c'est que vous êtes fous ou courageux. Ou les deux.  Et maintenant, bonne élection. N'oubliez pas de lire les professions de foi. En tenant compte de mes modestes suggestions, si le coeur vous en dit. 

Illustration : Le Radeau de la Méduse (1819), par Théodore Géricault, dans le domaine public, en provenance de Commons.