Il est bien gentil, Carlos Santana. Non content d'enregistrer des albums de la pire soupe depuis des années, d'inviter sur ses disques les vocalistes les plus improbables (Placido Domingo, par exemple, Roch Voisine sur la version européenne de ce nouvel album pour reprendre Under the Bridge des Red Hot Chili Peppers), le voici qui déboule donc avec son Guitar Heaven, soit un album de reprises du "meilleur de la guitare" ("The Greatest Guitar Classics of All Time", rien que ça...).
L'album de reprises, donc, passage obligé pour artiste sexagénaire (et les autres) en mal d'inspiration ou véritable nécessité, volonté de payer ses dettes à qui vous a durablement influencé, vous avez deux heures... Ici, compte-tenu de la liste des morceaux choisis, l'entreprise pue le pire opportunisme. Et je ne vous parle même pas de la pochette, qui vient confirmer les goûts souvent douteux de l'ami Carlos... Les titres donc... Sunshine of Your Love de Cream, Back in Black d'AC/DC, Riders on the Storm des Doors, Smoke on the Water de Deep Purple, Bang a Gong de T-Rex, Little Wing de Jimi Hendrix, Whole Lotta Love de Led Zeppelin ou While My Guitar Gently Weeps des Fab Four, ils sont venus, ils sont tous là. C'est incroyable d'enfoncer ainsi toutes les portes ouvertes, d'avoir aussi peu de dignité (Smoke on the Water, quoi !). Certes, on a vu pire setlist, pire tribute band à la moindre fête de la musique, mais, là, quand même, au rang des disques putassiers à zéro prise de risques, c'est presque aussi convenu que le terne Twelve de Patti Smith. Pourtant, pourtant, avouons qu'entendre Chris Cornell "remplacer" Robert Plant ou qu'écouter ce gros lourdaud de Joe Cocker reprendre Little Wing (Santana reconstituant là, dans la virtualité, un trio marquant - Cocker, Hendrix et lui-même - de l'affiche de Woodstock), ce n'est pas déplaisant. Et comme on n'oublie pas que Santana, c'est d'abord un groupe qui groove, des percussions qui claquent, les voici mises à l'honneur sur le très bon Sunshine of Your Love ou sur le remarquable Back in Black chanté par Nas, et dont on croirait la ligne de basse jouée par Flea et pompée sur les Red Hot Chili Peppers, soit un intéressant quoique involontaire mashup.
Au même âge, Robert Plant, qui n'en est pas à son premier disque de reprises (le méconnu Dreamland - et notamment son fiévreux Hey Joe - est superbe) revient avec Band of Joy (du nom de son groupe d'avant Led Zeppelin). C'est mollasson, très... Parfois très beau pourtant... Comme si le rouquin ne s'était pas remis de son album country avec Alison Krauss, lui qui déclara il y a peu, après un concert de Them Crooked Vultures (où officie l'ancien bassiste de Led Zep, John Paul Jones) que c'était vraiment trop de boucan, que ses oreilles en avaient saigné. Alors, que Plant enfile ses chaussons, se la coule douce, apaisé, vieux papy, et qu'il règle son sonotone au minimum, ça nous fait un peu de peine mais on sauvera quand même Band of Joy pour son honnêteté. En témoigne cette reprise - complètement inattendue - du sublime Monkey de Low. Choix plus intime, reconnaissons-le, et tellement plus surprenant que tous ceux de l'entrepreneur Santana.
Mais pour ce qui suit - et qui commence à dater - on n'en voudra jamais complètement à Carlos...