La mort du dessin politique en Inde (2/2)

En effet les salaries des dessinateurs débutants sont maigres et insuffisants pour sérieusement envisage un avenir professionnel. D’ailleurs plusieurs dessinateurs ont une activité professionnelle parallèle afin d’assurer leurs arrières.

La professionnalisation de la vie (et le déclin de l’idéalisme) est une réalité et les jeunes accordent une place importante aux aspects matériels. On peut le reprocher en partie aux media qui mettent en avant la vie des affaires et les salaires conséquents des MBA débutants. Cela a un impact sur les jeunes. Le premier dessin que j’ai publié ne ferait peut-être pas rire aujourd’hui, mais en revanche la rémunération que j’en ai reçue vous ferait rire. Pour beaucoup de jeunes d’aujourd’hui, l’idéalisme est le refuge de ceux qui n’ont pas d‘ambition ; il y a tant de marchandises dans les centres commerciaux ou au coin de la rue qui n’attendent que d’être vendues. Idem pour les dernières voitures à la mode, l’appartement dans les banlieues, et tout çà avec des mensualités adaptées. Tout cela nous a plongé dans la course sans fin revenus/consommation, au détriment de la réflexion intérieure et de l’idéalisme. Et alors ? Le rapport avec le faible nombre de dessinateurs est le suivant : les dessins politiques sont liés à l’idéalisme, l’intégrité et la passion. Celui qu’un dessin fait rire a compris l’essence du message du dessin. Celui qui parle aujourd’hui d’idéalisme est moqué. Les faux semblants et les gesticulations ne vont pas de pair avec le dessin politique. Un dessin ne doit jamais être utilisé pour faire l’image ou la publicité d’un homme politique. Le dessin politique est un art critique. Des films ou des livres ou des critiques d’art, de livres ou de films peuvent être (et sont) achetés ; Un dessinateur politique ne peut pas l’être, le lecteur s’en apercevrait aussitôt.

Il faut aussi mentionner l’abaissement des seuls de tolérance. Avec le temps, notre peau devient de plus en plus sensible. La population de vaches sacrées dans notre pays augmente chaque année ; je ne suis pas sûr que les dessins que je faisais il y a dix ans sur ce thème, me viendraient aujourd’hui à l’esprit. Nous vivons dans un climat plus chargé d’indignation. Chacun attend que son idole soit attaqué pour réagir immédiatement contre l’auteur de l’insulte. Et la loi ne s’applique jamais dans ce cas. Ces attaques contre les créateurs sont relayées par les media et sont récupérés par les partis politiques qui n’attendent que ces situations conflictuelles. Le crayon n’a pas réussi à s’imposer face à la massue et cela explique que beaucoup d’humoristes préfèrent s’en tenir à des sujets neutres.

Le dessin politique est aussi nécessaire à la presse, que la presse l’est à la démocratie. Au minimum c’est une soupape pour canaliser la colère que font naitre les dirigeants de ce pays ; on pourrait dire que le dessin politique est un élément stabilisateur dans la société si l’on veut bien considérer que l’humour et le rire peuvent sublimer la colère ou la frustration. Si je ne ris pas, je peux lancer un caillou, est ce que je me trompe, je n’en suis pas sûr.

J’espère que la nouvelle du décès imminent du dessin politique est largement exagérée.

Hemant Morparia

NDLR : Le dessin plus haut représente Mayawatti, une politicienne indienne très corrompue et mégalo.

Abu Abraham est un dessinateur politique indien qui publia de nombreux dessins controversés durant la période de l’état d’urgence décrété par Indira Gandhi, premier ministre, en 1975.

Ci-dessous des dessins d’Abu Abraham et de O V Vijayan.

Sur les caricaturistes indiens voir l'article de "Couleurs Indiennes" : http://www.couleur-indienne.net/La-Bande-dessinee-Indienne_a220.html