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Les romans arrivent trop tard…

Par Perce-Neige
Les romans arrivent trop tard…

Parmi les entretiens les plus passionnants publiés dans la Paris Review, - entretiens réédités cette année chez Christian Bourgeois -, figure celui de Leonard Michaels. Il y évoque, d’abord, bien sûr, son travail d’écrivain : « Je devenais fou à m'interroger sur les points-virgules. Les conjonctions me rendaient insomniaque. Je ne voulais aucun son inutile dans mes phrases. Je détestais me servir d'adverbes à cause de leur suffixes en « -ly ». Ils me semblaient être de piètres véhicules. Ils rendaient le sens mou, faible et artificiel. Je ne voulais dire que ce qui pouvait participer de la sensation auditive limitée et spécifique. L'idée et le son devaient être exactement de la même longueur, ou posséder la même densité, comme si un mot pouvait être chair. C'était là mon idée de la vraie écriture. Sculptural. ». Et puis la question lui est posée de la pertinence des « gros livres ». « Un gros livre est un gros mensonge ? » lui demande l’interviewer. A quoi Leonard Michaels répond ceci : « Je ne veux pas dire ça. J'essaie de dire quelque chose de très particulier. C'est l'idée que la vie n'est jamais appréhendée avec une telle plénitude, une telle cohérence de sentiment sur une longue période de temps, comme ce que l'on voit habituellement dans les romans. C'est peut-être parce que les romans veulent nous dire comment vivre, mais les gens ne font jamais que vivre au jour le jour. Ils ne se soucient généralement pas de cette grande appréhension du flux des choses. Ils ne sont pas très preneurs de pur être, pas si dévorants. Mais c'est ce que l'on a tendance à tirer d'un roman, ce genre d'accumulation, ou cette expérience de l'accumulation, qui ne se trouve pas dans la vie elle-même. Dickens, par exemple, est un génie puissant. Je ne cesserai jamais de le louer, mais je préfère Kafka. Il ne mange pas le monde. La façon dont on vit est une question d'éducation, dit Aristote. Les romans arrivent trop tard pour la plupart d'entre nous. » Et puis aussi ceci : « Je n'ai jamais rencontré personne, sauf des gens qui sont profondément déprimés ou pris dans une névrose ou une autre, qui fasse montre de cette cohérence de type romanesque. En général ils ne se souviennent pas où ils étaient ni ce qu'ils ont fait la semaine précédente. Ils ne se ressemblent souvent même pas d'un jour à l'autre. Certains changent tellement d’un moment à l'autre, qu'on dirait qu'ils sont trois personnes à la fois. »


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