Fraichement revenu de Barcelone, je ne peux m’empêcher de parler de la plus grande fierté des Barcelonais (et des Catalans) en terme d’architecture : Gaudi.
Plutôt que de faire un exposé sur sa vie, son œuvre, et sur le courant moderniste Catalan dont il faisait parti, j’ai pensé que vous livrer les impressions que j’ai eu en voyant quelques unes de ses réalisations serait plus intéressant. C’est d’ailleurs le moins que l’on puisse faire tant Gaudi semble avoir pris plaisir à jouer avec nos sens.
La découverte : Visite de la Casa Batlló
Pour moi, le voyage à Gaudi land a commencé à la Casa Batlló (prononcez baôtillo pour faire local), un immeuble dont chacun ou presque connait la façade délirante. Mélange de forêt, de carnaval, de plage et d’écailles, plus rien ne rappelle l’immeuble classique dont Josep Batlló i Casanovas avait commandé la réhabilitation en 1904.
La façade de la Casa Batllo
Maniant comme personne les matériaux, les formes, les couleurs, Gaudi a construit cette maison en ne dessinant presque aucun plan, et s’est appuyé sur ses maquettes pour diriger les ouvriers du chantier. Telle une œuvre d’art, la Casa Batlló semble nous prendre à parti pour savoir quelle interprétation nous avons de l’agencement de ses pièces, de l’emplacement d’une porte, ou de la raison d’un choix de couleur. Rentrer dans la Casa Batlló, c’est se retrouver face à une question que l’on nous a posé tant de fois durant notre scolarité, mais avec l’immense avantage qu’il n’est pas nécessaire de lever la main pour prendre le parole. « qu’est-ce que l’auteur cherche à nous dire« . Bien peu d’édifices font cet effet, car ce n’est ni un joyau comme peut l’être une cathédrale, ni un écrin comme peut l’être un musée. Devant l’incongruité de ce qui s’offre au regard, c’est directement « l’auteur » que l’on cherche à atteindre. Qui a pu concevoir une telle chose, qui est donc capable de réaliser cela ?
Encore impressionné par la façade du bâtiment devant laquelle on doit faire la queue (et soulager son porte-feuille) avant d’entrer, on ne monte pas l’escalier qui mène au premier étage sans appréhension « d’accord c’est pas mal jusqu’ici, mais si j’étais déçu par ce que je vais voir ? » Et vient la première anti-chambre et sa cheminée-champignon.
La cheminée-champignon du premier étage
Cette première pièce et ce champignon de pierre résume à merveille l’intérieur de la Casa Batlló : rien n’y est monumental, mais tout est si bien pensé, conçu, et réalisé tout en faisant parti d’un tout cohérent, que l’admiration s’impose d’elle même. L’éclairage de la pièce vient principalement d’un puits dans un coin de la pièce qui innonde celle-ci de lumière alors-même que 5 étages nous surplombent. Le conduit de cheminée, on le verra plus tard, rejoint les autres conduits de la maison au sein de la structure du bâtiment pour ressortir dans des grappes de cheminées impressionnantes. L’aération de la pièce est quant à elle assurée par des ouvertures dans les portes, qui peuvent être ajustées selon la saison et les températures. L’ensemble de la maison est d’ailleurs ventilé de la sorte.
Telles des branchies, les aérations des portes apportent de l'air à l'édifice
Difficile de dire dès lors si les fioritures sont fonctionnelles ou si ce qui semble indispensable l’est réellement. Construite autour d’un puits de lumière bleutée, la Casa Batlló possède dans chacune de ses pièces une ambiance unique, délivrant chacune des indices sur « l’intention de l’auteur ». Spirale au plafond digne d’un maëlstrom, couleurs marines, jeux de mosaïques rappelant des coraux aux couleurs improbables, charpente évoquant la cage thoracique d’une baleine; nombreux sont ceux qui voient dans cette maison un hommage direct à la mer.
La spirale du grand salon
Les branchies sur la gauche apportent de la lumière et de l'air frai sans faire entrer la pluie
L'escalier qui mène au toit
Après un grenier immaculé, le toit a lui seul amène de nouvelles théories, une grille de lecture radicalement nouvelle, où Saint Georges (le saint patron de la Catalogne) serait présent, et où la façade serait le dragon qu’il s’apprête à terrasser. Cela fait bien du lyrisme pour une simple toiture n’est-ce pas ?
Le toit surplombant la façade, le dos supposé du "dragon"
Une croix à quatre branches, un grand classique chez Gaudi
L’art de la mise en scène : le parc Guëll
Après cette visite de la Casa Batlló, ma première découverte avec l’univers de Gaudi, c’est au parc Guëll que mes pieds (ainsi que le métro et une flopée d’escalators) m’ont amené. Prévu pour être à l’origine un quartier d’une soixantaine de maisons au sein d’un parc délirant, ce ne furent finalement que deux maisons qui furent achevées, ainsi que le parc. Aujourd’hui appartenant à la ville de Barcelone, son accès est gratuit, pour le plus grand bonheur de tous.
Dites bonjour au lézard du parc Güell
Ce parc, agréable à visiter, prouve que derrière la maîtrise que Gaudi avait des matériaux, il avait également un profond sens de la mise en scène. Les nombreuses fioritures de ses constructions servent autant à camoufler les grandes lignes directrices qui trompent notre appréciation des formes, qu’à embellir ses projets. Cette constatation, je l’ai eue en abordant l’entrée monumentale du parc dans le mauvais sens. Au lieu de rentrer par la porte principale, je suis passé par derrière, et suis tombé sur les colonnades du parc en descendant la coline au lieu de la monter. Ces colonnades, qui devaient être le marché intérieur du quartier, possèdent deux caractéristiques sensibles : les espaces entre elles sont occupé par des coupoles qui emprisonnent les sons, et les colonnes extérieurs sont penchées.
L'entrée du parc
N’étant pas architecte ni spécialiste en construction de colonnade, je me suis imaginé une fonction purement fonctionnelle à cette inclinaison, et ai descendu les marches du parvis. Ce n’est donc qu’en me retournant que j’ai compris ce que Gaudi avait cherché à faire. En penchant ses colonnes, en courbant les promenades qui jouxtent le parvis et en faisant converger vers le lézard les deux escaliers qui mènent à la place surplombant le marché, l’architecte génial nous a joué là un tour de passe-passe qui fonctionne à merveille. La perspective en dessous du marché semble se compresser à mesure qu’elle rejoint le point de fuite suggéré derrière le lézard, tandis que l’inclinaison des colonnes se joue de cette convergence et fait croire à un édifice démesuré.
La montée des marches
Bonjour la mer !
Les deux seuls édifices construits
Parce qu’il n’était pas possible de passer à côté : La Sagrada Familia
L’une des images que l’on a généralement de Barcelone, bien avant la mer, la Rambla ou son quartier gothique, c’est elle, la Sagrada Familia, l’œuvre maîtresse de Gaudi sous laquelle il repose désormais.
La Sagrada Familia
Je vous conseille d’en faire le tour, mais ne peut témoigner de l’état de l’intérieur des lieux. Encore en travaux (et pour longtemps), visiter la Sagrada est un risque à prendre : échafaudages et engins bruyants divers peuvent égayer votre parcours. Si vous êtes férus d’architecture, il parait néanmoins que cela peut valoir le coup; la structure interne de l’édifice étant l’aboutissement de l’œuvre de Gaudi, c’est un déploiement incroyables de formes fractales qui soutiennent le plafond et qui suffisent à justifier le déplacement.
"En vrai", la structure parait bien moins confuse et de grandes structures apparaissent
Le travail de Gaudi sur la Sagrada est à ce titre impressionnant que ce qui est de sa main sur le Temple (la Sagrada n’étant pas consacrée, on ne peut parler de Cathédrale) nous démontre sa parfaite maîtrise de l’architecture gothique classique. Plus encore, il la surpasse jusqu’à la rendre simpliste par rapport à son art propre. La Sagrada Familia m’a évoqué cette scène du film Amadeus où Mozart reprend de tête la musique de Salieri, puis l’améliore avec insolence et facilité.
Derrière les arabesques des sculptures, des arches et des voutes de Gaudi, on distingue partout sur l’édifice des indices d’une cathédrale gothique classique : une rosace, des ouvertures allongées avec leur dentelle de pierre… Mais ils paraissent mornes, plats. Les plus grandes gloires du Gothique flamboyant font ici figure d’héritages ultimes d’une architecture désuète pensée en deux dimensions, recouverte (et dépassée) par l’œuvre de Gaudi. Le Temple semble être sorti des murs de lui-même, comme vivant et affranchis des normes classiques.