La première fois que j'ai entendu parler de cette vigneronne, c'est par Laurent Baraou, passé en coup de vent dans notre nouvelle maison dordognote fin 2006. Il semblait être tombé sous le charme et m'avait donné envie de la rencontrer. Puis c'est mon ami Eric Reppert qui me l'a recommandée. Ont suivi quelques articles, mais aussi des commentaires sur des blogs qui m'ont définitivement décidé de rencontrer cette femme avant de quitter le Sud-Ouest.
Je l'ai contactée la semaine dernière : elle m'a répondu qu'elle était en pleine vendange. Donc si je voulais discuter avec elle, c'était en allant sur le terrain. Ce n'est pas le genre d'invitation qui m'effraie. Les vendanges, j'adore cela : j'ai dû les faire une bonne dizaine de fois. Le seul problème, c'est que j'avais d'autres rendez-vous prévus dans la journée, et que cela bouleversait un peu mon programme. Finalement, nous avons trouvé une solution : j'y passerai mon jeudi après-midi, puis la soirée. Et repartirai le lendemain matin.
J'ai mal choisi ma journée : le temps est au crachin. Lorsque j'arrive sur le coup de midi, je suis embauché de suite pour aider à vider les caisses vendangées la matinée dans l'égrappoir. Puis à transférer les raisins dans la cuve.
A vitesse normale...
... on ne bouge plus. Clic.
Installée depuis 2002 dans le Marmandais, Stéphanie Roussel a converti le vignoble presque de suite en bio, puis en bio-dynamie. Cette volonté de respecter les sols et la vigne se poursuit lors des vendanges, où le raisin est placé dans des petite cagettes. Et au chai où aucune pompe n'est utilisée.
Le crachin persistant et même s'intensifiant, et la parcelle terminée de vendanger, Stéphanie décide d'arrêter pour aujourd'hui. Il fera plus beau demain. Alors que nous aurions dû manger au lance-pierre, nous prenons finalement le temps de nous poser dans la vaste salle à manger, chauffée par une imposante cheminée.
Le premier vin que je découvre est embouteillé depuis peu. Il se nomme SSS (Sauvignon blanc, Sauvignon gris, Sémillon). Chaque cépage a été élevé séparément. Stéphanie n'était pas vraiment satisfaite de chacun, jusqu'à ce qu'elle tente un assemblage. Et là, miracle : les 3 S s'accordent magnifiquement. Je mets mon nez sur le verre : silex frappé, lard fumé, beurre noisette, une touche de fruit de la passion. Je ne peux m'empêcher à la cuvée Graviers de Stéphane Tissot (chardonnay ouillé). En bouche, c'est d'un beau volume, avec une matière toute en finesse et une acidité sous-jacente qui tend et étire le tout. Jolie mâche en finale, toujours sur la fumée. C'est diablement bon ! Et le jambon de cochon noir du Bigorre qui l'accompagne est d'accord avec moi : il finit sa vie en beauté ;o)
Pensant au départ que nous allions plus grignoter, j'avais amené un cake maison aux foies de volailles confits (recette demain). Il s'est bien marié avec le vin suivant : le rosé qui touche.
Stéphanie n'aime pas spécialement le rosé. Elle a donc fait un vin qui ressemble tout sauf à un rosé, excepté la couleur. Le nez est surprenant, avec des arômes lactés et de biscuit "petit beurre". La bouche est toute en rondeur, avec un gras surprenant jamais ressenti sur un rosé, mais aussi une fine acidité bien présente qui équilibre le tout. La finale se conclue net sur des notes minérales (ardoise). Dans un verre noir, je pense que l'on partirait sur un vin blanc (vin sans sulfite ajouté).
Nous continuons sur un rôti de porc noir, particulièrement goûtu, accompagne du Rouge qui tâche. Notre vigneronne a réussi à apporter noblesse et buvabilité à un cépage peu réputé pour sa finesse : l'Abouriou (100%). Le nez a des notes lactées assez proches du vin précédent, mais aussi de mûre fraîchement écrasée. En bouche, ce n'est que velours fruité qui vous tapisse le palais, sans aucune agressivité. C'est profondément gourmand, y compris dans la finale, expressive mais pas dure. Un vin de picole, comme aime le dire Stéphanie (là aussi, pas de sulfite ajouté).
Et voici l'intérieur de mon gâteau basque aux pommes caramélisées
Stéphanie a sorti un vin parfait pour l'accompagner : un Loin de l'Oeil 2005 de Plageoles (Gaillac doux). Un nez embaumant la pomme rôtie au beurre, le miel et un soupçon de coing. Une bouche douce, onctueuse, finement acidulée, très marquée aussi par la pomme chaude. Une longue finale sans sucrosité sur le coing confit. Un régal qui se boit tout seul. Et avec le gâteau basque (réussi, ouf), c'est vraiment extra !
Après un café, tout le monde part se reposer, car la matinée a été rude. J'en profite pour lire quelques magazines...
Quelques heures plus tard, nous allons visiter des vignes chères au coeur de notre vigneronne. La lumière déclinant sérieusement, la qualité de mes photos s'en ressent fortement...
L'impression générale que j'ai est celle d'une bonne harmonie, avec des vignes à la vigueur maîtrisée, sans avoir besoin de rognages multiples et de vendanges en vert.
En revenant, nous partons au chai déguster quelques barriques, mais c'est pas vraiment le bon jour : ça se goûte assez mal. Pas très grave, on s'y reprendra un autre jour.
Puis nous dînons d'un vrai poulet de ferme avec un vin que je n'ai pas noté (pas du tout l'esprit à cela). Et finissons la soirée autour d'un autre vin, au départ un peu timide, mais qui finit par devenir d'une beauté absolue et l'une de mes plus fortes émotions vinesques de mon existence (là, je me souviens parfaitement de ce que c'est, mais j'ai promis sur ce que j'ai de plus cher de ne pas dévoiler le nom de ce vin, trop rare pour faire l'objet d'un buzz). On pourra me dire que dans ce cas-là, j'aurais mieux fait de ne pas en parler. Mais en l'évoquant, je voulais signifier la générosité de Stéphanie qui ne me connaissait que depuis quelques heures et m'a ouvert une bouteille unique qui lui est chère. Merci infiniment pour ce geste !
7h45 : les vendangeurs sont de retour et écoutent les instructions de Stéphanie. Ils attaquent ce matin une parcelle d'abouriou acquise récemment, située sur une butte de graves à quelques kilomètres d'ici. Je les accompagne rien que pour la voir, car Stéphanie m'en a parlée hier avec beaucoup d'amour.
On commence par le sol de Lassolle (j'ai pas pu m'empêcher...), superbe dès le petit matin, et surtout ferme et moelleux à la fois comme un bon matelas. Il est bien drainant, car la pluie d'hier ne l'a pas rendu lourd et collant. Il me rappelle les graves de Lafite. Rien que ça.
Et voilà l'Abouriou, beau comme un coeur !
Et ci-dessous, la vue générale sur la parcelle, avec Stéphanie sur la droite. La côte est plus raide que ce que la photo pourrait laisser croire. Je vendange avec la troupe une vingtaine de minutes seulement, car j'ai un autre rendez-vous à une quarantaine de kilomètres.
Stéphanie, merci beaucoup pour ton accueil !
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