Vendredi après-midi en arrivant dans le parc de Marly comme je sortais de l’ombre des châtaigniers, le grand bassin m’est apparu illuminé d’un soleil radieux. Par habitude j’ai scruté les flots calmes pour identifier les oiseaux qui s’y prélassaient. Quelques canards, hôtes permanents et peu farouches attendant qu’un enfant leur confie les miettes de son goûter et puis ces grandes ailes blanches dérivant mollement au gré du vent. D’où j’étais placé, le soleil dans les yeux, un instant j’ai pensé à des cygnes qui eux aussi viennent souvent nous voir, mais très rapidement j’ai réalisé qu’il s’agissait de voiliers.
Un groupe de maquettistes s’était approprié une partie du bassin, quatre ou cinq adultes et non pas des gosses, s’étaient déplacés jusqu’au plan d’eau avec leurs joujoux. Bateaux à voiles exclusivement, certains paraissaient terminés, d’autres en cours de construction. Le chantier naval transpirait la tranquillité et les restes du casse-croûte de midi indiquaient clairement que si l’eau est l’élément naturel du marin, point trop n’en faut non plus mille sabords ! Pour l’heure nos marins d’eau douce s’activaient lentement à leurs occupations bonne enfant, l’un bricolait son rafiot encore à terre, un autre dirigeait son navire du bord du bassin au moyen de sa télécommande, un troisième promenait le sien au bout d’une longe.
Un schooner toutes voiles dehors s’éloignait vers les hauts-fonds, s’inclinant sous les assauts d’une brise timide, sous l’œil bienveillant de son propriétaire et maître le couvant du regard comme une mère son petit. L’autre, au bout de sa laisse, un deux-mâts maigrichon faisait ses premiers pas sur l’eau. La mâture à peine esquissée et tout juste d’aplomb, vierge de toute voile qui l’eût nappé de dignité, la barcasse nue s’essayait à la flottaison. Sous les encouragements de son charpentier de marine, le bateau s’astreignait à conserver le cap et maintenir son équilibre sur le clapotis humide du plan d’eau. Les résultats devaient être encourageants puisque chacun y allait de son commentaire flatteur.
Tandis que les enfants étaient à l’école, leurs parents en profitaient pour sortir leurs jouets et les étrenner sur le lac à l’abri des caprices et geignements de leurs gosses. Libres enfin, ils pouvaient se la jouer capitaines de navires en route vers des horizons lointains, corsaires du roi ou flibustiers du ponant, capitaines Troy d’Aventures dans les îles. La mer est un parent exigeant dont on ne s’émancipe pas facilement.
A les regarder s’émerveiller devant leurs réalisations, j’étais à mille lieux de me gausser ou ricaner, au contraire je les imaginais studieux et appliqués dans leurs caves, penchés sur leurs établis à poncer, scier, visser et que sais-je encore, durant des heures et des heures, pour au final apporter sur les fonds baptismaux leurs créature enfin achevée. Qu’y a-t-il de plus beau qu’un voilier sur les flots ?