Le ministre de l'intérieur a proposé de modifier les tribunaux correctionnels. Ces derniers jugent les délits, les cours d'assises étant réservées aux crimes. Ils statuent de manière collégiale, sans jurés. Hortefeux, voulant surfer sur quelques faits divers, a suggéré de faire élire les juges de ces tribunaux correctionnels, et d'y introduire des jurés populaires. Il aimerait même que les juges d'application des peines soient élus. Le Figaro Magazine, qui publie cette interview contestée, résume sans abage : « Exaspéré par les réponses apportées par certains magistrats aux récents faits divers, le ministre de l'Intérieur réclame que le peuple soit directement associé aux décisions de justice. »
Lisez donc comment Hortefeux, reprenant une vieille recette de son chef, débute sa présentation: « Lundi dernier lorsque chaque membre de la famille de Natacha Mougel, avec sa petite bougie, a entouré son cercueil, ce fut un moment terriblement poignant. Le ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, le maire de Lille, Martine Aubry, et moi étions totalement à l'unisson de l'assistance. »
Il poursuit : « En quelques semaines, plusieurs faits, qui ne sont «divers» que pour ceux qui ne se sentent pas concernés, mais qui sont en réalité extrêmement choquants, montrent le décalage entre la souffrance des victimes et la réponse pénale apportée par une minorité de magistrats. » Ou encore: « Quelle que soit la déontologie des magistrats, que je ne mets aucunement en cause, je ne crois pas possible qu'ils puissent toujours se substituer à l'expression directe de la volonté populaire. »
L'accusation est lâchée. A ces magistrats récalcitrants, insensibles ou incompétents, le ministre de Sarkofrance veut opposer la sagesse populaire. Cette manière de caricaturer le débat ne choquera plus grand monde. Hortefeux n'est pas là pour commenter les erreurs judiciaires (il y en a, même en cour d'assises), le manque de moyens de la police, la faible application des peines, l'absence de suivi post-incarcération, ou la surpopulation des prisons. La France compte 58 000 places de prison pour 62 000 détenus environ, et seulement 3 000 conseillers de réinsertion. Sur 191 prisons, 86 ont été pointées du doigt pour leur non-respect des normes européennes, rappelait Le Monde en juillet dernier. Et les effectifs de police sont revenus à leur niveau de ... 2002.
Hortefeux ne craint pas non plus l'incohérence : en juin dernier, le ministère de la Justice avouait réfléchir à la suppression des jurés populaires dans les cours d'assises pour les faits les plus graves (meurtres, viols, braquages…), ces mêmes jurés qu'il aimerait aujourd'hui introduire pour juger des délits.
Le ministre suggère enfin que « le peuple » soit associé à la décision de libérer un délinquant « avant qu'il ait purgé l'intégralité de sa peine ». Comment ? En appliquant le dispositif prévu par la loi Perben de 2004, qui prévoit « qu'une décision du juge d'application des peines peut être contestée devant la chambre d'application des peines de la cour d'appel qui comprend, elle, trois magistrats professionnels et deux responsables associatifs représentant notamment les victimes » aux crimes et délits les plus graves. Il aimerait que la rétention de sûreté, actuellement réservée aux criminels condamnés à plus de quinze ans, soit étendue aux condamnés à 10 ans ou plus. Hortefeux est gonflé : saviez vous que les aménagements de peine ont augmenté en France ... depuis 2007 ?! Ils concernaient 10 % des effectifs des condamnés en 2007, et plus de 14 % au 1er janvier 2010 (soit 7 292).
Pour appuyer sa démonstration, Hortefeux est prêt à tout, même au mensonge : ainsi, il glisse dans démonstration que la rétention de sûreté, prévu par une loi de Rachida Dati et qui permet de prolonger l'enfermement d'un délinquant une fois qu'il a purgé sa peine, « n'est pourtant pas une peine mais une mesure de sûreté. » Les deux journalistes du Figaro qui l'interrogent, Alexis Brézet et Carl Meeus, ne relèvent pas. Ils participent même, comme avec cette exclamation : «Il y a aussi pour les délits graves la loi de 2009 qui prévoit qu'un individu condamné à moins de deux ans de prison n'exécute pas sa peine !» C'est vrai ça ! Que fait la police ? Qui est aux responsabilités depuis 2002 ? Prudent, Hortefeux fait comme si cette disposition, que sa majorité a voté, ne l'engage à rien : « Je suis favorable à ce que l'on modifie, sur ce point précis, la loi pénitentiaire. (...) Je propose donc que les aménagements de peines de prison ferme ne soient possibles que pour les peines les plus courtes, jusqu'à un an.» Un nouveau tacle contre sa collègue et rivale de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui avait repris cette réforme initiée par Rachida Dati et l'avait fait voter et adopter en novembre 2009.
Hortefeux se garde bien de préciser le sujet : de combien de cas parle-t-on ? En 2006, dernières statistiques disponibles, 6 000 personnes ont bénéficié d'une libération conditionnelle. Après la chasse aux 15 000 Roms, voici l'hallali contre les 6 000 délinquants libérés trop tôt. En revanche, pas un mot sur le record d'atteintes aux personnes atteint en juin dernier : 460 000 sur 12 mois (contre 392 000 en 2004).
Cette intervention n'est qu'une manoeuvre, sans doute le signe d'une réelle fébrilité, mais aussi, et surtout, la poursuite d'un objectif : continuer d'orienter l'agenda politique le plus longtemps possible autour de l'insécurité et de l'immigration. Le débat sur l'identité nationale, en novembre 2009, fut un flop. Cette fois-ci, Sarkozy et ses proches s'y prennent avec 18 mois d'avance.
Il y avait urgence à répondre aux accusations d'inefficacité, d'une part, et à provoquer l'opposition pour qu'elle se braque, d'autre part.
Toujours au Figaro, Jean-Marie Bockel explique que l'ouverture est toujours d'actualité pour 2012. Le sous-secrétaire d'Etat à la Justice, contraint à jouer aux paravents centristes au sein d'un clan recentré sur des positions extrémistes, ne sait plus quoi dire pour justifier sa présence, et consoler sa conscience.