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On entend souvent l'expression 'les camps de réfugiés' pour parler des milliers de camps que compte la zone touchée par le tremblement de terre. Ce serait une erreur selon les bonzes de l'international, ils sont dans leur patrie. Il faudrait plutôt dire des camps de déplacés. D'où le défi, probablement, de déplacer les camps de déplacés. Tentative de blague … Mes oreilles ont été visitées ces dernières semaines par un commentaire émis par plusieurs ayitien aisés que je côtoie : Il commencerait à être temps qu'on fasse quelque chose avec ces camps, ça ne peut plus durer. Demandez aux millions de moun toujours coincés dans cet enfer et je suis pas mal certain qu'ils seront de votre avis. Dans ce commentaire, il y a au moins deux interprétations : 'La situation n'a pas d'allure pour ces gens, ça ne peut plus durer' et la deuxième, 'Ces camps dérangent, ça ne peut plus durer.' Le premier s'inquiète des gens qui vivent dans ces conditions inhumaines et il espère (ou désespère) que ça ne dure pas. Quant au deuxième, il n'en peut plus de ce que ces camps apportent dans le paysage urbain. Il faut questionner un peu le deuxième pour mieux comprendre que ses sources d'irritations sont nombreuses. Au plan de l'image, c'est laid et ça défait le paysage : 'Peut-on retrouver notre ville ? Nos parcs, nos places ?' Au plan des odeurs, des détails seraient superflus. Au plan économique, comment intéresser des investisseurs dans un tel fouillis ? Mais c'est au plan des rapports sociaux (pour ne pas dire des rapports de classes) que l'irritation est la plus, …, disons intéressante. 'Je n'en peut plus de cette proximité, de voir cette nudité, de cette vie-de-tous-les-jours affichée partout.' En fait, le tremblement de terre aura agit comme un révélateur de la vie de ces millions de port-au-princiens qui s'engloutissaient dans les mornes pour habiter ces dizaines de milliers de petites maisons construites les unes sur les autres. C'est cette 'vie de quartier', auparavant cachée, qui s'étale aujourd'hui dans tous les espaces publiques et qui dérange. 'Je comprends mieux mon peuple' me disait récemment une collègue aussi riche que sensible. 'Ce qui nous énerve aujourd'hui, c'est ce qui ne nous avait jamais été aussi clairement visible.' C'est la faille sociale, bien après la faille géologique, qui se manifeste. Je prenais une bière avec une suédoise et deux québécois cette semaine. La question de la durée de vie des camps est venue sur la table - il restait de la place entre les consommations - et le commentaire des gérants d'estrade a été encore 3 ou 4 ans. Je suis de ces gérants d'estrade. Imaginez maintenant que la CIRH qui a le mandat de coordonner la reconstruction de ce pays n'a pas encore vu cette fissure dans le tissus social.