Et un jour on découvre Nobu Stowe.
Car - et c’est ce qui est extraordinaire - malgré cet écrasant effet de masse dont on pourrait craindre qu’il aplatisse tout dans la grande horizontalité du Web, l’exaltation de la découverte de la pépite ne diminue pas pour autant.
Nobu Stowe, donc – la pépite – est pianiste et, sous son nom complet de Nobuyoshi Suto, également psychologue-chercheur, spécialisé dans les drogues. Largement passé inaperçu dans nos contrées – même si on commence enfin à en parler un peu – il a pourtant derrière lui déjà cinq albums réalisés en tant que leader ou co-leader.
Chaque disque s’enregistre suivant le même principe, étalé tel un programme en toutes lettres sur ses couvertures d’album : « total improvisation ». Ainsi, tout ce qui est gravé – à l’exception ici ou là d’une reprise ou d’un thème écrit à l’avance, jamais plus d’un par album – est créé directement en studio, sans autres éventuelles indications que l’ordre d’apparition des musiciens.
L’originalité vient de ce que cette musique en liberté ne se limite pas au fracas tout d’atonalité ou d’arythmie dont se contente trop souvent l’ordinaire de l’improvisation free. Les instruments peuvent s’emballer, la musique se faire explosive et partir en tous sens, souvent tout retombe sur de délicates harmonies, franchement tonales, et de délicieuses mélodies, de celles qui se chantonnent.
Radicalité et classicisme se retrouvent sur son dernier album : Confusion Bleue ; album, la langue du titre le suggère, en manière d’hommage aux musiciens français qui ont pu l’influencer : des sophistiqués sentimentaux, compositeurs pour le cinéma (Legrand, Lai, Delerue) aux explorateurs de la musique concrète du GRM. D’un côté donc, des mélodies romantiques qui surgissent par poignées du bouillonnement, de l’autre, des interventions (enregistrements sauvages ou sons de synthèses) dans la lignée de la tradition acousmatique, et délivrés par Lee Pembleton, artiste plasticien, vidéaste, sound designer, et cofondateur du musée de la mémoire virale.
Mais il y a plus.
Tantôt Nobu laisse le piano pour le wurlitzer, et c’est Keith Jarrett – une influence revendiquée – qui accepte l’électricité pour les beaux yeux durs du Miles Davis électrique des années 70. Tantôt Tyler Goodwin fait glisser l’archet sur sa basse et entraîne un instant le groupe vers une manière de baroquisme boitillant. Ailleurs une guitare égrène des notes métalliques de blues rural sur un fond sonore terrifiant évoquant une nuit au désert - la bourrasque, les serpents, les coyotes. Au milieu, c’est le raffinement de Bill Evans qui est convoqué, avec une relecture de son « Blue in Green » co-composé avec Miles Davis – mais celui plus ancien de Kind of blue. Bleu toujours… Cet endroit du spectre est, décidément, bien souvent convoqué.
Ross Bonadonna et Ray Sage, habitués de la scène free new-yorkaise, embarquent leur camarades dans de vigoureuses secousses sans que ces poussées de fièvre semblent justifiées par autre chose que la nécessité.
Sans doute est-ce un aspect du talent de Nobu Stowe que cette capacité à embrasser des registres différents sans jamais faire dans l’imitation besogneuse ni mettre à mal l’ensemble. Qualité rare.
Une pépite je vous dis.
(Article initialement paru sur le site Citizen Jazz)