Les fanelles peuvent voyager entre les mondes. Ces êtres minuscules à l’allure humaine mais dont les bras sont des ailes, et qui restent invisibles aux habitants des contrées qu’ils visitent, nous guident ici dans cinq histoires courtes : cinq récits qui sont autant d’escales sur ces Terres creuses situées quelque part entre le fantastique et la science-fiction, le passé et le futur, le rêve et la veille… Un voyage halluciné vers des mondes oniriques et inconnus où hier et ailleurs se confondent avec demain et ici.
Il y a bien un thème qui raccorde ces cinq histoires, c’est l’amour ; ou plus précisément, le sexe – et certains esprits chagrins vous diront que ça n’a rien à voir mais bon, comme ils sont chagrins… À une seule exception près, toutes ces histoires vous montreront la passion d’un homme pour une femme – parfois même plusieurs – et que celle-ci lui rendra d’ailleurs – à nouveau, à une exception près.
Comme toujours, cette passion pourra se montrer destructrice, ou bien créatrice ; la biomécanique s’y mêlera parfois, sous la forme de simples insectes à la voracité insatiable ou celle, plus stimulante, au moins pour l’imagination, d’un ordinateur semi-vivant – ou en tous cas quelque chose qui y ressemble. Les amants se trouveront, voire se retrouveront, ou bien se perdront, mais sans jamais se déchirer – sauf une fois, au sens strict du terme, et qui représente juste une autre exception.
L’image de la femme est donc ici omniprésente, de manière directe comme indirecte : dans le lac et ses eaux – élément féminin par excellence –, dans le sol transparent qui révèle les choses cachées – métaphore de l’intuition féminine –, dans la terre qui s’ouvre pour nous engloutir – terreur aux accents bien œdipiens –, et enfin dans la brume qui nous emprisonne – forme sublimée de cet élément eau où l’imagination matérialise souvent les peurs de l’enfance et donc son impuissance, c’est-à-dire sa dépendance à la mère.
Planche intérieure
Inconscients ou non, tous ces symboles s’enchevêtrent, se superposent, s’épaulent les uns les autres pour mieux se complimenter en se renvoyant leur propre image. Ils se complètent. N’y cherchez pas des réflexions au sens strict du terme mais plutôt des fantasmagories – ou du moins quelque chose de cet ordre-là. Pour cette raison, vous n’y trouverez aucune intrigue à proprement parler, mais juste ce qui donne leur substance aux rêves…
François Schuiten et son frère Luc, tous deux de brillants créateurs, chacun dans leur domaine respectif, nous démontrent ici leur incroyable talent, non à raconter mais bel et bien à suggérer. Ce que vous en retiendrez ne dépendra que de vous, de vos désirs, de votre imagination.
Vous aurez bien le temps de voir ceux-ci bridés – bien qu’à peine – dans les tomes suivants de cette courte mais toute aussi essentielle série…
Avec une mention spéciale au très bref mais pas moins brillant récit Échantillon, cette exception évoquée en début de billet et aussi une « inversion » de la bande courte Absoluten Calfeutrail (1972) de Jean « Mœbius » Giraud où les Schuiten nous prouvent que non seulement ils connaissent leurs classiques mais qu’ils savent aussi les détourner avec une inspiration qui en étonnera plus d’un.
Chroniques de la série Les Terres creuses :
1. Carapaces (le présent billet)
2. Zara (à venir)
3. Nogegon (à venir)
Les Terres creuses t.1 : Carapaces, Luc & François Schuiten, 1980
Casterman, collection Univers d’auteurs, mars 2010
72 pages, env. 18 €, ISBN : 2-203-02621-9
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