J’avoue que j’ai d’abord été attiré par la promesse du titre: « Un très grand amour ». Tout un programme, convenons-en. Sauf qu’il y a méprise…
L’histoire qui nous est racontée ici n’est que celle, pathétique, d’un séducteur compulsif et vieillissant qui donne tout son sens au mot de Woody Allen voulant que, si Dieu a doté l’Homme d’un cerveau et d’un pénis, il a malheureusement oublié de lui donner suffisamment de sang pour irriguer les deux en même temps. Mais du très grand amour, pas la moindre trace.
Antoine accumule les conquêtes. C’est l’archétype du mâle prédateur qui, bien qu’en présence de sa conjointe, s’agace de recevoir un appel de sa maîtresse alors qu’une troisième femme, de 30 ans sa cadette, occupe déjà ses pensées. On a du mal à suivre les inflexions de ses sentiments. L’écriture en forme de confession ne craint pourtant pas de mettre en lumière les aspects les plus sombres de l’âme humaine. C’est peut-être la plus grande force de ce roman et la raison pour laquelle il provoque chez le lecteur (et vraisemblablement la lectrice) un malaise qui tarde à se dissiper même une fois le livre refermé. Avouons également que la description détaillée des ravages, tant physiques que psychologiques, causés par un cancer de la prostate a de quoi faire frémir. La tentation est très forte d’assimiler l’histoire d’Antoine à celle de l’auteur qui a également été traité pour cette affection. C’est sans doute la raison pour laquelle celui-ci s’est empressé d’ajouter un avertissement au début de l’ouvrage:
Ceci est un roman et il ne faut pas le lire autrement. Tous les personnages de ce livre sont purement imaginaires, sauf l’amour, le cancer et moi-même.
Cette note a de quoi étonner car, on peut raisonnablement se demander ce qu’il reste du roman si l’on en retire à la fois l’amour, le cancer et [lui]-même. Paradoxalement, plus l’auteur insiste sur le caractère purement fictif de son livre, plus se renforce l’impression qu’il s’agit en fait d’une autobiographie.
Quelques exemples de cette écriture incisive:
Je suis déjà mort plusieurs fois. Ma vie ressemble à toutes les vies et, comme tout le monde, je l’ai passée à mourir. Le jour de ma naissance. À l’enterrement de mon père. Le soir où maman a rendu l’âme. Lors de mon premier divorce. L’après-midi où j’ai rencontré Isabella. (p. 15)
(…) j’ai toujours couru deux lièvres à la fois, le très grand amour et le très grand roman. En fin de compte, je n’en ai attrapé aucun. Je croyais que, quand on n’a pas de talent, il suffit d’avoir de l’ambition, mais non. Vois-tu, je ne suis qu’un homme abandonné, et un écrivain sans livre. Ce n’est pas faute d’en avoir publié, pourtant. (p. 202)
Michel Tournier, à qui je rends de plus en plus souvent visite dans son presbytère de la vallée de Chevreuse, m’a dit un jour: « Nous autres, humains, avons, comme les fruits, deux façons de vieillir. Soit on pourrit. Soit on se dessèche. » Moi, je pourris et me dessèche en même temps. (p.240)
Un exemple de scène pathétique: Florence, la sœur d’Antoine invite son frère à dîner pour lui présenter une femme, histoire de le distraire de sa peine d’amour. Voilà le résultat:
«Je suis heureux d’avoir rencontré une femme comme vous Thérèse.
- C’est gentil.
-Non, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps. »
J’entends soudain la voix de ma sœur derrière moi:
« Antoine, tu es demandé en cuisine. »
Je me lève. Elle me tire par la manche:
« Qu’est-ce qui te prend?
-Merci Florence. Tu ne pouvais pas mieux choisir. Je crois bien que je suis amoureux.
-Mais ce n’est pas d’elle qu’il s’agissait, c’est de sa mère.
-Sa mère? Mais tu as vu son âge?
- Elle a dix ans de moins que toi. Vous êtes bien assortis. C’est une femme très intelligente et très courageuse.
- Je préfère sa fille. (p.230)
Si on peut difficilement éprouver de la sympathie pour le personnage, on ne peut cependant qu’admirer les qualités littéraires de cet écrivain, familier de Michel Tournier, de Julien Green et de François Mitterrand.
Mais, ami lecteur, peut-être préfèreras-tu passer ton chemin cette fois, tant l’univers qui nous est présenté ici n’est pas de ceux où il fait bon s’attarder…
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GIESBERT, Franz-Olivier. Un très grand amour. Paris, Gallimard, 2009, 253 p. ISBN 9782070128198.
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