Bref, je ne sais pas très bien quand ça s'est passé. Mais je sais qu'à un moment donné, j'ai fini par perdre le fil, ce soir là. Je me rappelle vaguement de bribes de conversation. Mais impossible de savoir qui parlait. Même moi, je ne m'entendais plus, c'est pour vous dire. Ça donnait un truc comme ça...
- LE VEAU ?
- C'est moi...
- ... LA PINTADE AVEC SON BOULGOUR ?
- C'est elle... Je peux avoir de la moutarde
- JE VOUS L'APPORTE !
- Ah et du pain... Merde, il a filé, ce loufiat de mes deux. Quand il reviendra, cramponne-le.
- Oui parce que je n'ai pas été augmentée depuis 5 ans. Et pourquoi, je te le demande ?
- Tu n'as qu'à te tenir droit, à la fin ! C'est la dernière fois que je t'emmène au restaurant !
- Tu devrais peut-être essayer de changer de job ?
- Ah non, pas scénariste. Lui, il est assistant de production. J'aime bien bosser avec lui...
- Oui c'est vrai, moi aussi, au début, j'adorais ça, je mettais la table, j'allumais des bougies, il m'embrassait en arrivant. Pour ma fête, il venait avec des fleurs... Ça finissait souvent par un câlin sur la petite table du salon, hmmmmm... quand j'y pense... Maintenant, il n'appelle même plus pour me dire qu'il est en retard, ce connard.
- Ah ah ah, c'est plié ! Et toi, t'en penses quoi ?
- Moi les vacances, c'est sacré. Et là, j'en ai besoin, sinon je vais craquer. Déjà que ça va pas fort avec Jef...
- J'en ferai bien mon happy hours. Il est chic avec son look smart-sauvage, pas rasé de trois jours, chemise blanche et jean. Miam...
- Je sais bien mais en même temps, la gardienne ne répond pas après 19h. Il faut bien que je le récupère, ce Chronopost... Qu'est ce que je vais entendre, si je ne le récupère pas à temps...
- JE VOUS AMENE LA CARTE DES DESSERTS ? LE TIRAMISU EST MAISON !
- Ah ah, pétée de rire... Et tu y as cru, toi ? Et sinon, tu crois qu'il sera là, Hugo ? Il m'a demandé mon portable, mais je sais pas trop si j'ai envie...
- C'est bien ça qui m'inquiète. Si ça se trouve, on n'en verra pas la couleur. Il est vraiment pas gêné...
- Je peux pousser votre sac, là ? Merci, c'est bon, ça va aller...
- En même temps, si c'est pour faire du html longueur de journée, merci bien. Je ne vais pas me rouler par terre pour partir...
- Non mais regarde-moi ça ! Je viens de te changer et il y a déjà des tâches aux genoux. C'est ça, prends sa défense, toi ! Tu sais comment on va nettoyer ça, monsieur Je-sais-tout ?
- UNE AFFLIGEM, UN BOURGUEIL, UNE GRANDE CHATELDON... ET AVEC ÇA ?
- Non, rien, je te rappelle, je suis déjà en ligne...
- Tu fais ce que tu veux, mais moi je vais pas lâcher l'affaire. Il faudrait juste un producteur avec l'expérience du prime. Tu ne bosses pas avec Alexandre Astier, toi, au fait...
- Oui, mais tu le connais, il ne dira rien, j'ai beau le questionner discrètement. Ça va nous coûter un bras!
- DESOLE, ON NE PREND PAS L'AMEX.
- Tu vois, on se croirait un 15 août chez les Jivaros. Un tabac, une épicerie fermée le lundi, basta. Si elle croit que je vais aller m'enterrer dans ce trou...
- C'est toujours pareil, il fait son malin au début. Mais avec le contrat en main, il changera de ton, je te le garantis. Il est agaçant, tellement il est prévisible...
- Il est trop beau, je craque à chaque fois.
- Ça ne m'étonne pas de lui : c'est juste un gros ring'...
Etc, etc, pendant une heure et demie. Au bout d'un moment, j'ai renoncé à comprendre ce que me disait ma convive d'un soir. Je suis sorti comme un somnambule. J'avais les oreilles qui décompressaient, on aurait dit Thalassa spécial cétacés en boucle. Je me serais bien fait masser les tympans, si seulement il m'en été resté un. J'ai arrêté un taxi et je me suis affalé sur la banquette arrière. Le chauffeur avait Rire et Chansons. Du rire garanti toutes les trois minutes... A FOND LES BALLONS !!! Vous connaissez la suite, Monsieur le commissaire...