Magazine Journal intime

Septembre, mois maudit

Par Crapulax

17 septembre 2010

Septembre, mois maudit

tangSeptembre est bien entamé. Je hais ce mois, surtout la deuxième quinzaine, sinistre. A chaque fois, je ne le vois pas venir. Septembre me massacre comme une bonne dépression creuse hivernale. Mon baro interne sombre. Toujours ce même historique que je traîne comme des casseroles au cul: quand mon père s'est crashé dans son zinc au terme d'une cabriole aérienne de trop, il y a maintenant 26 ans, il aurait au moins pu s'arranger pour faire sa sortie à une autre date que celle de mon treizième anniversaire. Une « chance » sur 365.... Tâche indélébile sur la mise à niveau de mon compteur annuel. Cette année tout particulièrement car le 23/09, j'aurai 39 ans, soit l'âge qu'il avait justement lorsque sa vrille s'est prolongée jusqu'au sol. Souvenirs photographiques très nets d'alors. Depuis, je me suis toujours demandé quel genre d'homme je serais quand j'atteindrais l'âge de sa mort. J'avais du temps pour y penser mais ça passe si vite.... M'y voilà donc. Je me suis aussi toujours demandé si, il y aurait un après 39 ans pour moi, et sous quelle forme: apaisé? Enfin affranchi de cette ombre tenace? Ça, je ne le sais pas encore, et je n'aurai pas la réponse le 23 d'ailleurs car la malédiction, réelle ou supposée, planera sur moi pendant les 12 prochains mois pour autant que je les passe, Inch Allah...

met
Si je suis parti en voilier il y a plus d'un an, c'est justement parce que j'estimais que ma durée de vie n'excèderait pas nécessairement la sienne et qu'il était plus que temps de vivre sans filet, de ne plus remettre à plus tard certains rêves essentiels avant la possible échéance toute proche. Sans ça, j'aurais encore attendu je ne sais quoi, comme tout le monde. A l'heure qu'il est, je serais probablement encore en pleine « rat race ». Bon aiguillon finalement. Le plus probable est que ce cap n'existe que dans mon esprit, on verra. Ceci étant, la suite ne m'intéresse pas tant que ça. Tout pourrait s'arrêter maintenant. Après tout, j'ai eu un aperçu suffisant de la vie: amours, enfants, famille, amitiés, aventures et expériences diverses, ailleurs, vie professionnelle. Alors quoi maintenant? Dégradation physique progressive et inéluctable? Arrêter de déconner afin de mourir vieux et en bonne santé? Devenir plus craintif, à défaut de sagesse, et voir ses amis s'éteindre mollement de même? Est-ce vraiment nécessaire? Houellebecq a raison: l'espérance de vie ne devrait excéder la quarantaine. Au delà, ce n'est généralement que gestion du déclin et redite en moins bien de ce qu'on a déjà vécu.

Merci papa. Tu m'as quand même légué un goût atavique pour l'aventure et le non-conformisme. J'espére pour ma part que, lorsque mes fils me rejoignent à bord, ils développent aussi, quelque part, inscrite dans les basses couches du système, cette envie de tenter autrement, de voir ailleurs et de ne pas laisser emprisonner leurs rêves par une bulle factice de sécurité soporifique. C'est le seul enseignement qui me semble vraiment vital. Pour le reste, ils se démerderont à leur façon, avec et entre les règles de leur société, vivront, se tromperont et finiront en poussières d'étoile comme leurs prédécesseurs. Rien de bien neuf. A l'approche de cet anniversaire maudit où ton fantôme sera plus présent que jamais et dont tu seras bien-sûr, l'invité d'honneur, cher père, j'avance à taton car, généralement, à cette période, tout se met à déconner. Septembre 2009: ma vie de couple implosait. Pour marquer le coup, je me soulageait de cette supercherie en balançant mon alliance à la flotte, afin qu'elle trouve une place adéquate, ailleurs qu'à mon annulaire, quelque part dans la vase, parmi les déchets et les poissons creuvés du port dégeulasse de Tanger. Septembre 2008: Après deux mois lumineux de transat speedée entre Panama et Hyeres, puis, de cette quinzaine en Corse avec femme et enfants, Galapiat se retrouvant à terre, dématé, le piètre bricoleur que j'étais alors, revenait brutalement aux dures réalités pratiques, et ne voyait pas du tout comment venir à bout des travaux à accomplir avant le départ. Septembre 2007: La rentrée professionnelle s'annonçait comme un cauchemar. En retard sur « le chiffre » et en panne absolue de motivation, je rasais les murs et trompais mon anxiété en regardant les annonces de voiliers à vendre plutôt que de me concentrer sur les affaires à « closer ». Je pourrais continuer à remonter le temps à l'avenant. Tous mes Septembre furent au mieux nuageux, le plus souvent calamiteux. Cette année, ça à l'air de se passer moins mal que d'habitude. Mon conditionnement pavlovien saisonnier me taraude pourtant: confiance en berne, cauchemars, à l'affut de ce qui va foirer. Je sais désormais que la meille

salade
ure attitude à adopter à cette période est Yin: Patienter et faire le gros dos plutôt que de tenter la ligne.

Comme premier rappel à la prudence, cette navigation musclée depuis Rio vers Buzios, de seulement 80 milles, première étape de la remontée vers le nord. Vent et courant sont d'est, à l'exact opposé de notre cap. Un allemand a tenté sa chance deux jours plus tôt mais après moins de 10 milles en 7 heures, il s'est résigné à revenir à Rio, penaud. Les autres voileux attendent des conditions plus favorables, moi non. Après 3 mois quasi-stationnaire à ne faire que des ronds dans l'eau, je trépigne. Sur le papier, les conditions sont mauvaises mais pas trop fortes. Je préfère du près laborieux à l'attente de la renverse ou, pire que tout, la pétole et le moteur. Bernard a envie de voir ce que Galapiat a dans le ventre. Quant à moi, j'ai besoin de me remettre dans le bain avec une bonne naviguation brutale. En fait d'être soutenues, les conditions sont franchement raides à cette allure. Un ris dans la GV au sortir de la baie de Guanabara, puis très vite, deux. Génois roulé de moitié et trinquette pour serrer le vent au plus près, le vent ne cesse de monter de 20 à bientôt 30 noeuds. La mer désordonnée et cassante ainsi que le fort courant contraire nous obligent à tirer des bords pénibles, d'angles désespérant. Cirés et bottes de rigueur pour la première fois depuis longtemps car ça mouille. On hésite à revenir mais non. Hors de question. Le bateau est très sollicité? Rien à foutre. Il est taillé pour ça. Bernard me demande si j'ai une cisaille à haubans à bord. Penserait-il à un éventuel dématage?

La toute première vague à nous rincer me prend par surprise alors que j'immortalise Bernard devant sa salade sur fond de pain

mouillage
de sucre qui s'éloigne. Appareil photo HS, ça ne fera jamais que le troisième de l'année; le pilote se met à fonctionner de façon erratique; la facade d'un tiroir me reste dans les mains; ma jolie scandola (squelette calcaire magnifiquement étoilée d'un mollusque local) se disloque sous les coups de boutoir des vagues; les bouquins s'amoncellent sur le sol, je les cale patiemment à chaque bord; dans la nuit, lors d'un virement de bord, une manille se fait la malle pendant que je bricole la trinquette sur le pont. Son écoute claquant au vent comme un fouet, m'amoche la jambe et la tronche; le sabre arrière est coincé, mon Leatherman, couteau-outil indispensable et « garanti à vie » se casse en deux; Bernard me réveille pendant mon sommeil pour un virement de bord en cata, à moins de 30 mètres d'un bateau de commerce qui croise notre route. Faux rythme de quarts en conditions brutales: nous n'avons plus l'habitude d'en chier un minimum et n'avons pas le temps de reprendre le bon rythme. Nous sommes fatigués mais appréçions le coup de fouet.

tiroir
Navigation rageuse et obstinée. On ne lache rien, sans ça on n'avance pas car, malgré une allure soutenue entre 6 et 8 noeuds à casser de la vague, de bord à bord, au bout de 30 heures, nous n'avons couvert que 60 milles et mieux vaut s'arrêter au Cabo Frio afin de sécuriser un des rares mouillages protégé avant que la nuit ne tombe. L'atterissage est assez technique: Afin d'éviter un détour par le nord de Ilha do Cabo Frio, nous choisissons l'étroite échancrure entre les falaises au sud est. Pari élégant mais sans joker vu l'heure avancée. Sous le vent du cap, la mer est effectivement un peu plus calme et permet de s'y risquer mais le jusant génére au moins 3-4 noeuds de courant debout. Pas de marge pour se rater et encore moins pour un soucis technique. On affale au dernier moment, garde la dérive pour être manoeuvrant et, moteur à fond contre le vent, ça passe.... Une fois, dans la baie, relever la dérive dare dare  car des bancs de sable de moins de 2 mètres à marée basse barrent le passage vers le mouillage. Désormais sans dérive, Galapiat est un fer à repasser et, dans les rafales frontales et la mer qui déferle par endroit, Bernard à la barre ne garde le cap qu'avec difficulté pendant que je le guide dans la passe. Nous posons la pioche au crépuscule. Timing impeccable.

J'aime bien naviguer avec Bernard. Circonspect mais jamais peureux, il assure les manoeuvres avec méthode, a envie de pousser la bête tout en étant respectueux du matériel. il privilégie la  prudence à la témérité désordonnée des inconscients.  Il me fait confiance et fronce juste légèrement les sourcils de curiosité quand je choisis une option plus osée que celle qu'il aurait prise. « Alors? Il marche bien ce bateau? » je lui demande. Guère expansif, sa réponse est sans équivoque: positive. Le plan d'eau n'est heureusement pas affecté par la houle mais les fortes rafales sifflent dans le gréement. Mouillage d'attente maintenant, joli, mais vu le vent, nous n'en profons pas. Le mousqueton du bout qui soulage la chaine explose sous la tension pendant le café du matin suivant. Décidément, rien de grave, mais mis bout à bout, les signes s'accumulent. J'aurais peut-être

berenroul
dû m'en tenir à la prudence, surtout en septembre. La dernière météo indique une situation qui se dégrade. L'anticyclone du large et la dépression de la terre jouent à cache cache dans la zone pendant quelques jours. Le vent ne faiblira pas. Nous voici coincés pour trois jours sans alternative, le temps de mettre de l'ordre et réparer la casse, puis de se faire de la bonne bouffe, lire, jouer aux échecs ou au backgammon, se rendre à Arraial do Cabo, le village voisin pour une mocqueica de peixe quelconque comme d'hab -insipide cuisine du sud brésil- en laissant le canot se démerder seul avec les rafales qui poussent à 35 noeuds parfois. L'ancre est bien accrochée  et, au pire, si Galapiat se barre, c'est la plage et le sable... Pas si grave.  Faut être philosophe parfois et surtout, jamais esclave de son bateau.

Fenêtre favorable enfin pour Buzios. Mer formée, pas à peu de vent d'abord, moteur. Puis un peu d'air enfin. Lorsque je déroule le Génois en entier, gasp! Un tube de mon enrouleur est brisé net, probablement pendant la brafougne de notre navigation précédente. Génois alors à moitié roulé, je n'avais pu m'en rendre compte. Grosse tuile. Septembre de merde, sans exception à la règle. Pour l'avoir déjà bricolé x fois, je sais que Profurl ne produit plus ce vénérable P52, donc aucune chance de remplacer la pièce. Bernard suggère de racheter et se faire envoyer un enrouleur neuf. Pardon? 3 semaines de délai au moins, un bon 3000 euros + le port, assaisonné des 50% de droit de douane brésiliens, Niet! Allons réflechir aux solutions autour d'une caipi. Le guide n'a pas menti. Buzios, le « St-Tropez Brésilien », ex-village de pêcheur devenu à la mode dans les années 60

enroulrepar
tout comme l'original, suite à sa découverte par BB, rappelle plus la méditerrannée que le Brésil. Buzios ressemble à s'y méprendre, non pas tant à un village hype de la côte d'azur qu'à un de ceux des îles pontines, sur Ischia en particulier. Magasins chics, rues pietonnes dallées, bars et restos Brigitte, Brigitta, BB, Bardot et toutes ses déclinaisons imaginables. Probablement invivable et bondé en été, Buzios est délicieux en morte saison, largement en deça du seuil critique qui déclenche mes reflexes agoraphobes. Il manque même un peu de monde pour faire bouger le « Zapata » vers 1h du mat'.   

Le gérant du Iate Club do Buzios dont nous avons pris une bouée la veille nous prend en sympathie. Non seulement, il nous fait graĉe du prix de la nuit mais en plus, nous présente à son responsable d'atelier, afin que je lui explique mon problème et ce dont j'ai besoin pour réparer. 5 mn plus tard, j'ai trouvé le tube alu de mes rêves et m'y attaque à coup de disqueuse. Bernard demeure un peu sceptique mais, à la fin d'une solide journée de travail, nous avons démonté, remonté l'enrouleur après avoir rabouté le tube cassé à l'aide d'un manchon exterieur usiné avec les moyens du bord pour le mettre à dimension et solidarisé par un mix soudure à froid et rivets pop.  Je ne peux affirmer avec certitude que cette infâme bidouille tiendra mais je suis très satisfait de cette réalisation express et relativement propre. Ne reste plus qu'à installer le bas étai larguable, l'accastillage ad hoc, afin que, en cas de nouvelle casse, on puisse se passer du Génois et envoyer imédiatement le yankee endraillé, à l'ancienne. On peut continuer. Septembre, va te faire f.....  . Tu ne m'auras  pas comme ça....   

 
 

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