Le 30 juillet, dans une France plongée dans la torpeur estivale, la grenade est dégoupillée. Fidèle à sa volonté de s’attaquer frontalement aux tabous (argent, mœurs, immigration, etc.), Nicolas Sarkozy évoque, parmi une rafale de mesures sécuritaires, sa volonté d’évacuer les « implantations sauvages de campement roms sur le territoire français ». Si le lien de causalité entre immigration et insécurité n’est alors que suggéré dans la bouche du président, son ministre de l’Intérieur l’assume quant à lui pleinement : Brice Hortefeux brandit des statistiques nationales, évoquant l’augmentation de 138% de la délinquance roumaine (roumaines mais sous-entendu rom) à Paris, l’an dernier.
Une politique violemment dénoncée
Les attaques portées à l’encontre de la politique à l’égard des roms ne sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, caractérisées par de la tiédeur : « refrain des années 30 », « discours de la droite extrême », « coup de poignard dans le dos de la République »… Les éditorialistes, les associations et un large front politique se rejoignent pour vivement dénoncer une « manœuvre » qui met mal à l’aise jusque dans les rangs des figures historiques de l’UMP.
Mais les attaques les plus acides proviennent de l’étranger. Avec un calendrier bien peu charitable : la polémique causée par le discours du Président n’est pas encore retombée qu’un rapport accablant, publié par l’ONU, éclabousse la France sur la thématique sensible du moment, le racisme et la xénophobie sévissant dans la patrie des droits de l’homme. Le sujet qui fâche, les discriminations dont les « gens du voyage » sont l’objet, y figure explicitement. Dans un tel contexte, la France entre dans le collimateur d’un grand nombre de commentateurs : pluie de critiques de la part de la presse étrangère, intervention du Pape (relayée par des représentants de l’Eglise de France), résolution du Parlement européen, dégradation des relations avec la très francophile Roumanie, colère de la commissaire à la justice… Au-delà du verbe, l’affaire pourrait même prendre une tournure juridique si la Commission européenne venait à saisir la Cour de justice. Depuis la reprise des essais nucléaires français en 1995, rarement la France n’avait connu pareilles critiques émanant de l’étranger.
Une opinion indépendante des leaders d’opinion
Face à une telle volée de bois vert, l’opinion réagit assez spectaculairement. En effet, à la fin du mois d’août, l’institut CSA annonce qu’une majorité – néanmoins relative, à 48% – de Français soutient la politique d’expulsion. La surprise ne s’arrête pas là : une majorité de sympathisants du Modem partage, avec ceux du Front national et de l’UMP, cette opinion. Le soutien apporté aux démantèlements des camps (69%) et aux expulsions devient même très net (65%) dans un sondage réalisé quelques jours plus tard par Opinionway, dès lors qu’il est précisé dans la question « roms sans-papiers ». Même les catholiques pratiquants, d’habitude si enclins à soutenir le Saint Père (en 2009 par exemple, alors qu’une multitude de polémiques a largement écorné son image auprès du grand public), semblent être devenus sourds à ses prêches sur cette question politique.
De même, alors que l’affaire prend une dimension européenne, ouvrant un bras de fer entre les instances communautaires et Paris, une majorité de Français (56%) désapprouve les critiques adressées par la Commission européenne aux autorités françaises après les reconduites à la frontière de Roms en situation irrégulière
En dépit de tous les sermons moralisateurs, les Français démontrent une réelle indépendance à l’égard des leaders d’opinion. Leur aspiration à l’ordre et à la fermeté l’emporte.
Des états d’âme…
Si l’opinion adhère majoritairement aux reconduites, elle semble désavouer les valeurs qu’elles sous-tendent. Un grand nombre de Français met en doute rien de moins que la « moralité républicaine » de l’orientation prise par le gouvernement. Selon LH2, une majorité d’entre eux (55%) estime que la politique de l’exécutif à l’égard des Roms et des immigrés n’est pas conforme aux valeurs de la République française. Les opinions sont particulièrement tranchées, traduisant la dimension passionnelle du débat. Le clivage gauche-droite, extrêmement prononcé, ne doit pas masquer qu’un quart de l’électorat UMP juge également cette politique non conforme aux valeurs de la République. Parallèlement aux réticences d’un Alain Juppé ou d’un Jean-Pierre Raffarin, une partie de l’électorat de droite traditionnelle semble donc avoir été réellement déstabilisée par ce coup d’accélération sécuritaire.
La peur des vieux démons hante encore l’inconscient collectif, polluant ainsi tout débat serein sur l’immigration et les expulsions d’étrangers en situation illégale. La morale héritée de notre tradition humaniste et l’expérience tirée de l’histoire rend les Français très exigeants quant à la manière de procéder. Car le gouvernement n’a, somme toute, pas agi très différemment des autres pays européens, également confrontés à la « question rom ». A l’échelle locale, de nombreux maire de gauche ont également organisé des démantèlements de camps roms illégaux. Mais la médiatisation de ce dossier leur donnant mauvaise conscience, nos compatriotes auraient sans doute préféré que ces actions se fassent sans coup de clairon. Faire respecter l’ordre et la loi, oui. Mais sans bruit et sans stigmatisation.