La prestigieuse académie de Welton, une des plus austères et des plus fermées des États-Unis, n’accueille que les élèves les plus méritants. Parmi ceux-là, en cette année 1959, se trouve Todd Anderson, garçon timide et renfermé qui vit dans l’ombre de son frère aîné dont les études à Welton furent brillantes. Sa vie et celle de ses camarades basculera grâce aux cours de M. Keating, un professeur de lettres anglaises pour le moins excentrique qui les encouragera tous à suivre leur propre chemin…
Le choix de cette date, 1959, n’a rien d’innocent, car ce que fustige Le Cercle des poètes disparus avant tout, c’est l’austérité de cette époque, une tradition millénaire qui voyait les élèves comme des espèces de petits animaux plus ou moins apprivoisés et dont on remplissait l’esprit d’idées préconçues sans aucune considération pour ce à quoi cette personne pouvait bien aspirer – et puis de toutes façons, on admettait couramment que ces jeunes gens n’aspiraient à rien pour commencer. Il faudra attendre la décennie suivante pour voir la jeunesse elle-même contester cette conception des choses, à travers un courant culturel dont l’importance réelle n’a pas encore été complétement mesurée…
Bref, Le Cercle… fait l’apologie du libre arbitre, et plus précisément de cette école du Gai Savoir qu’ont suivi plus ou moins sciemment tous ceux dont l’Histoire nous a transmis le nom. École qui reste encore, hélas, à s’imposer quand on voit comme les jeunesses d’aujourd’hui restent bridées par un système scolaire qui ne fait, pour résumer grossièrement, que rabâcher les mêmes choses sur le même ton que d’habitude, avec une condescendance vis-à-vis des élèves qui frise souvent l’insupportable… On les prend pour des imbéciles, en les gavant non seulement de faits – qui ont leur importance, je ne le nie pas, bien au contraire – mais aussi en leur imposant les interprétations de ces faits – ce qui est déjà beaucoup plus discutable.
Seules les idées nouvelles permettent aux systèmes sociaux de se transformer pour mieux évoluer. Or, c’est bien la jeunesse qui reste la plus à même de développer des idées nouvelles, des conceptions inédites, précisément de par sa naïveté – faute d’un meilleur terme – qui lui permet de considérer les choses avec un œil neuf au lieu de ce regard morose et blasé si caractéristique de ces adultes qui ont tout vu alors qu’il leur reste bien des choses à découvrir – quand j’étais élève, nombre de mes professeurs ont tenté de me dissuader de la science-fiction ou des mangas, mais mes passions y ont survécu et une bonne partie du contenu de ce blog reflète ce que j’en ai retiré (1). Alors, plus généralement, comment espérer bâtir un futur nouveau si ses artisans sont formatés dès leur plus jeune âge à répéter toujours les mêmes choses ?
En dépit de ses 20 ans d’âge, Le Cercle… reste en réalité tout à fait actuel : à travers une réflexion de fond sur le problème éternel de l’enseignement, avec une sensibilité artistique où les mots se mêlent aux images en une mosaïque éblouissante, il se pose en iconoclaste, en vandale de cet ordre établi qui en voulant apprendre ne parvient hélas qu’à dégouter les élèves de ce qui reste pourtant une des différences principales entre les humains et les animaux – cette culture qui donne tout son sel à la vie, la transforme pour mieux la rendre supportable et nous permettre de la partager, même à travers le temps lui-même.
Et d’autant plus que c’est bien à travers cette sensibilisation à la culture qu’émergent les artistes. Ainsi trouve-t-on tout naturellement dans Le Cercle… une réflexion, certes un peu mélodramatique et au léger accent de cliché mais qui reste néanmoins pertinente, sur la nécessité vitale qu’ont les artistes de créer ou de faire leur performance ; le leur interdire serait comme couper les ailes du moineau ou crever les yeux du chat : une torture indicible, un fardeau insupportable, un exil… (2)
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les artistes ont toujours conspué l’ordre établi : avec son conservatisme forcené et ses idées préconçues, c’est-à-dire stériles car aux limites cernées depuis longtemps, cet autoritarisme a en effet toujours été leur pire ennemi.
(1) et même s’il a fallu un certain temps à ces idées pour murir et trouver leur forme complète, bien évidemment.
(2) ceux d’entre vous qui me diront d’où viennent les cinq derniers mots de cette phrase gagneront… toute mon estime ;]
Récompenses :
- Oscars 1989 : Meilleur scénario original (Tom Schulman)
- British Academy Awards 1989 : Meilleur film, Meilleure musique originale (Maurice Jarre)
- Césars 1990 : Meilleur film étranger
Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society), Peter Weir, 1989
Buena Vista Home Entertainment, 2002
128 minutes, env. 10 €
- d’autres avis : La Lune mauve, Le Magazine littéraire
- des citations : Kaakook, Wikiquote
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