"Vu l'ordonnance du 14 mai 2008, enregistrée le 27 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 13 mai 2008 au greffe du tribunal administratif de Paris, présentée par M. Louis A, demeurant ... ; M. A demande au juge administratif la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 23 000 euros en réparation des préjudices consécutifs à la durée excessive de la procédure contentieuse qu'il a engagée devant la juridiction administrative en vue de l'annulation de l'arrêté du 14 avril 1995 du préfet de la Dordogne déclarant d'utilité publique l'aménagement d'une zone d'activité économique au lieudit Le Moulinal à Saint-Cyprien (24220) et le mémoire, enregistré le 17 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête devant le tribunal administratif de Paris et, en outre, à ce que l'Etat verse à la SCP Peignot-Garreau, son avocat, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Eoche-Duval, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A ;
Considérant que M. A recherche la responsabilité de l'Etat en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la durée, selon lui excessive, de la procédure suivie devant la juridiction administrative statuant sur sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 avril 1995 du préfet de la Dordogne déclarant d'utilité publique l'aménagement d'une zone d'activité économique au lieudit Le Moulinal à Saint-Cyprien (24220) ainsi que de divers actes préparatoires à cet arrêté ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'il en résulte que, lorsque leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices tant matériels que moraux, directs et certains, causés par ce fonctionnement défectueux du service de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable ; que le caractère raisonnable du délai doit, pour une affaire, s'apprécier de manière globale - compte-tenu notamment de l'exercice des voies de recours - et concrète en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure, de même que le comportement des parties tout au long de celle-ci, et aussi, dans la mesure où le juge a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir pour l'une ou l'autre, compte-tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle même, revêtu une durée excessive ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a saisi le tribunal administratif de Bordeaux à fin d'annulation de la procédure de déclaration d'utilité publique de l'aménagement de la zone d'activité économique Le Moulinal à Saint-Cyprien par une demande enregistrée le 14 juin 1995, que le tribunal n'a rejetée que par jugement intervenu le 2 mars 2000 ; que M. A ayant relevé appel de cette décision le 6 avril 2000, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête par arrêt en date du 17 juin 2004 ; qu'enfin, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre son pourvoi en cassation, formé le 16 août 2005, par une décision rendu le 6 février 2006 ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la multiplication par M. A de demandes devant le tribunal administratif de Bordeaux entre les années 1995 et 2000, ait pu justifier, dans un souci de bonne administration de la justice, la durée de plus de quatre ans et huit mois au terme de laquelle il a été statué sur sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet de la Dordogne du 14 avril 1995 ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que la demande de délai supplémentaire que M. A aurait formulée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux le 27 septembre 2001 ait eu un effet dilatoire, dès lors que la commune de Saint-Cyprien n'a produit son mémoire en défense, après mise en demeure de la Cour, que le 19 novembre 2002 ; qu'en revanche, le ministre de la justice soutient, sans être contredit, qu'alors que l'instruction de la procédure suivie devant la cour administrative d'appel avait été clôturée le 13 mars 2003, M. A a lui-même demandé que l'affaire ne soit pas inscrite au rôle d'une audience le 11 décembre 2003, retardant ainsi l'examen de sa requête d'appel ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l'espèce, la durée globale de jugement a excédé de deux ans et huit mois le délai dans lequel la demande de l'intéressé aurait dû être raisonnablement jugée ; que M. A est dès lors fondé à demander la réparation des préjudices que ce dépassement lui a causés ;
Sur les préjudices :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a subi, du fait du délai excessif de la procédure qu'il avait initiée, des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 3 000 euros ; qu'en revanche, M. A ne justifie pas avoir subi le préjudice physique qu'il allègue, au demeurant non assorti de précisions suffisantes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Peignot-Garreau, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette société de la somme de 2 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A une somme de 3 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP Peignot-Garreau, avocat de M. A, une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Louis A et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés"