C'était hier matin, lendemain d'ouverture.
Imaginez que vous visitez le musée des Arts décoratifs, ou la collection Nissim de Camondo, ou encore le musée Guimet...et que tous les objets réunis sous votre regard, bien mis en valeur et en lumière, les meubles, les sculptures, les tableaux, les livres, les joyaux...soient à vendre. Vous avez à votre disposition les marchands, qui sont autant d'experts, et vous n'avez qu'à demander le prix. Et ils vous expliquent l'histoire du meuble, de ses bronzes, comment on peut le dater...Ils sont tous très élégants, ces marchands : un costume à fines rayures, taillé à Savile Row, des cheveux longs plaqués en arrière mais qui bouclent au niveau du cou, des lunettes d'écaille blonde....
C'est la première fois que je visite une telle manifestation. J'ai revêtu l'uniforme SVFH de rigueur (traduction : sac Vuitton, foulard Hermès), mais je ne me sens pas très à l'aise.Pourtant, personne ne me snobe. Il y a ici une foule de jeunes gens très accueillants : personnel de sécurité à l'oreillette branchée, hôtesses multilingues en robe de cocktail à 11 heures du matin, exposants un peu fiévreux : cette biennale donnera-t-elle le signal de la fin de la crise ?
Chaque stand est décoré à la manière d'une vraie boutique.Il y a ceux qui ont reconstitué le bureau ovale de la Maison Blanche pour y présenter du mobilier XVIIIème siècle et vous offrent des chocolats (Kraemer), ceux qui ont tapissé leurs murs de boiseries authentiques, et ceux qui les ont seulement suggérées d'un coup de pinceau pour mieux présenter des pièces de collection qui sont autant d'objets de curiosités (Didier Aaron).
J'ai bien aimé, chez Perrin, ce canapé de campagne en acier de style Empire, et la paire de miroirs sertis de corail de Trapani.Et puis on va de surprise en surprise : chez Christian Deydier piaffe silencieusement un merveilleux cheval émaillé d'époque Tang (618-907), harnaché d'une superbe selle recouverte d'une couverture : tout est splendide dans ce cheval : ses fines jambes, les détails des harnais, la qualité de la glaçure sans aucun manque, l'équilibre de cette terre cuite incroyablement grande et qui défie le temps...et je me retourne au son d'une voix connue : c'est Jacques Chirac qui regarde, à moins de deux mètres de moi, ces merveilles asiatiques.
Je m'éclipse prestement en face, chez Richard Green, pour regarder des Renoir, des Sisley, des petits Boudin, des Pissaro, des Marquet, un grand Fernand Léger au fond jaune. Puis chez Krugier, La belle chocolatière de Modigliani. Tout est à portée de main, bien mieux que dans un musée. Je demande chez Félix Marcilhac le prix d'un grand tableau animalier de Jouve, deux panthères noires : on me le donne aimablement : 220 000 €. Du coup, je me garde de demander celui de la grande vierge à l'enfant de....Sandro Boticelli, exposée chez Moretti.
Trop voyant, trop "nouveau riche"...A tout prendre, je choisirais volontiers la Jeu
ne fille à la corbeille de Renoir ou encore le portrait mondain d'Edmonde Charles-Roux (jeune) par A. Derain chez Schmit.Mais le coup de grâce, au sens propre du terme, je le reçois dans la partie réservée à la haute joaillerie. Harry Winston, Chanel, Cartier, Dior, Piaget, van Cleef et Arpels. Des parures de rêve, des colliers supportant des rubis et des émeraudes énormes? Plus chargé que moi, tu meurs...Sauf, sauf... une entrée fracassante dans ce monde feutré, la première collection de la maison Louis Vuitton, placée sous le signe de l'âme du voyage, des mers du sud, de la malle aux trésors...Ces bijoux ont été dessinés par Lorenz Bäumer (un ancien de chez CHANEL et Baccarat). Ils déclinent le motif de la fleur "monogramme" ronde ou pointue de façon relativement discrète.Une éclaboussure de lumière, avec l'emblème de la maison décliné à l'infini : un diamant de 33 carats dont on se demande de quel poids était la pierre brute qui lui a donné naissance, des cascades de couleurs dans des pierreries aux noms improbables, des joyaux manifestement destinés à une clientèle orientale et extrême orientale, mais avec un goût exquis, une légèreté digne du Champagne. Là, je craque. Toutes les autres "collections" - sauf Van Cleef - prennent un coup de vieux, un air de "déjà vu". Autant porter un bijou des années 30 ou même un Lalique très "art nouveau".
Comment ces oeuvres d'art (hors la joaillerie) se retrouvent sur le marché ? Un marchand définit ainsi sa mission : "Notre rôle social, c'est d'acheter aux anciens riches pour vendre aux nouveaux..." Ce que les marchands nomment la règle des trois "D" : dettes, décès, divorces. Ne plaignons personne. Il faut bien que les traders trouvent du plaisir à posséder quelque chose d'unique....
Au Grand Palais, avenue Winston Churchill, de 11h à 20 h (22h le 21/09), jusqu'au 22 septembre. Entrée : 25€.