Ça vous est déjà arrivé, à vous, de vous retrouver au milieu d'une bande de types qui ne demandent qu'à vous faire la peau ? Moi si. Plusieurs fois. La première, c'était dans la cour du collège. Je m'en suis pris une ou deux. On sentait déjà un certain sens de la justice mâtiné d'une pointe d'ironie, mais le droit ça ne s'improvise pas plus en boxe qu'en jurisprudence : je manquais de technique.
Plus tard au lycée, j'y suis allé comme en quarante quand il n'y avait pas moyen de faire autrement. Parfois possible d'en rétamer un ou deux, mais s'il y en a trois qui reviennent ou un boxeur qui finit le job, on n'est pas plus avancé. Bref, si on met de côté les situations de violence brute - celles qui ne laissent guère le choix qu'entre la fuite, la mort ou la chance -, le mieux, c'est d'essayer de parler. La bagarre, ce n'est pas l'initiation à la violence, c'est l'apprentissage de la politique.
C'est peut-être pour ça aussi que je me sens bien avec ces films-là. C'est pareil avec The Godfather (c'est aussi le film préféré d'Obama, ce qui me rassure toujours sur son idéalisme, et de la nanny de la petite, ce qui me semble une base éducative sérieuse) avec lequel le parallèle a d'ailleurs été fait spontanément aux Etats-Unis avec le film d'Audiard.
A l'origine donc, il y a la solitude, la solitude parfois un peu bravache mais apeurée du faible au milieu des forts. On se retrouve coincé, vulnérable. A portée de couteau. Ça sent la testotérone et le gangster à plein nez. Circonstance aggravante : le règlement n'est jamais très bien affiché dans les cours de prison, ce qui laisse toujours une marge d'interprétation. Les types qui coursent le nouveau venu pour lui piquer ses pompes ou le frapper au ventre, après tout, c'est peut-être aussi l'intérêt général qu'ils poursuivent dans ce milieu incertain. Ça se complique d'ailleurs, en tout cas ça exclut tout recours, quand c'est un caïd - César Luciani (Niels Arestrup) - qui contrôle la prison.
Du coup, Malik El Djebena (Tahar Rahim) doit revoir vite fait ses fondamentaux d'éducation civique. Le voilà simultanément affublé d'un statut - il sera désormais moins que rien - et d'un contrat - il doit tuer Reyeb, un détenu de passage pour quelques jours en centrale, et dont le témoignage menace le milieu corse. Reyeb, c'était pourtant la chance d'un début d'initiation à la culture, fût-elle définie ici de façon rudimentaire. "L'idée, lance-t-il, c'est de sortir un peu moins con qu'on est entré". Aussitôt dit, aussitôt trucidé : il faut toujours flinguer ses pères culturels, ils finissent par encombrer. Celui-là aura laissé un héritage minimal ou plutôt une injonction : lire-écrire. Une brèche dans les ténèbres de l'ignorance et de l'assujettissement.
C'est pourtant par là que l'histoire se poursuit : en réglant son compte à Reyeb, Tahar gagne en même temps la protection des Corses et le droit de les servir. Il y a l'apprentissage en salle de classe ("Le canard est dans la mare") et l'incubation à la table des truands. Sans cesse rabaissé au rang de larbin, Tahar observe, analyse, déchiffre, réfléchit - continue d'aprendre. Si bien que quand nombre de détenus corses sont autorisés à se rapprocher de leurs familles, il devient "les yeux et les oreilles" de Luciani et accède à un rang d'"auxi" qui améliore son niveau de confort et sa liberté de manoeuvre au sein de la prison.
Parallèlement, des liens se créent autour d'un petit business de la drogue avec Ryad et Jordi le Gitan, respectivement l'équivalent d'un frère et d'un cousin. Ce n'est pas encore une position très avancée sur l'échelle de l'évolution de l'espèce mais, psychologiquement, un déclic s'est produit. Et la mécanique intellectuelle s'est mise en marche. Finalement, ce n'est peut-être pas une bonne idée de bannir la violence à l'école : ça accélère la réflexion.