A moins de deux ans de l’élection présidentielle, et avec la forte probabilité de sa nouvelle candidature, chaque geste de Nicolas Sarkozy peut et doit être analysé comme un acte de campagne. La furia sécuritaire visait à rassurer et ramener au bercail ses électeurs populaires et frontistes de 2007 ; la réforme des retraites est un clin d’œil appuyé aux actuels retraités, aux assureurs privés, aux milieux financiers et au MEDEF. Dans ce contexte très politique, la déclaration présidentielle en début de semaine sur le renforcement du prêt à taux 0 pour les « primo-accédants » à la propriété est passée un peu inaperçue, noyée dans le brouhaha médiatique sur la réforme des retraites et les Roms. Cette décision, qui relance et réoriente la partie immobilière de la loi TEPA dans le sens d’une incitation à devenir propriétaire, mérite pourtant notre attention.
Pourquoi considérer que dans la conjoncture économique actuelle, l’augmentation du nombre de propriétaires immobiliers demeure une priorité nationale ? Dans son projet de 2007, Nicolas Sarkozy exposait simplement ses vues : « Mon premier projet en matière de logement est de faire de la France un pays de propriétaires, car la propriété est un élément de stabilité de la République, de la démocratie et de la nation ». Il ne reculait pour cela devant rien, mettant même dans son programme le développement des crédits hypothécaires, quelques mois avant la crise que l’on sait. Si l’image du propriétaire comme stabilisateur de la « nation » est fort ancienne, elle est aussi un marqueur idéologique fort chez les conservateurs et libéraux contemporains. Margaret Thatcher, pour ne citer qu’elle, porta clairement comme objectif politique la transformation du Royaume-Uni en pays de petits propriétaires, avec l’idée, également classique dans sa famille de pensée, qu’il fallait encourager les locataires de logements sociaux à les racheter à leurs bailleurs (privatiser le logement social, donc). Et ces volontés ne sont pas sans écho dans la population. Dans une période de crise, il est évident que la possession d’un petit patrimoine immobilier est un élément rassurant pour les citoyens les moins fortunés. On peut d’ailleurs se rappeler que même Ségolène Royal proposait, dans son pacte présidentiel, l’aide au rachat des logements sociaux par leurs occupants.
Par-delà les choix idéologiques et les motivations conjoncturelles (ou plus structurelles) de telle ou telle catégorie de Français, l’incitation à l’achat immobilier à crédit, soutenu par l’État, est-elle une bonne chose pour lui – tout particulièrement en période de tensions budgétaires ? On peut en douter ; une telle politique pousse des ménages potentiellement fragiles à s’endetter ; elle détourne de la consommation courante des sommes d’argent considérables ; elle risque de refaire monter les prix de l’immobilier ; enfin, elle ponctionne sur les finances publiques des revenus qui seraient probablement plus utiles pour augmenter l’offre de logements sociaux, ou de logements décents pour les étudiants.
Être bénéfique pour le pays est une chose ; être bénéfique pour la droite et pour Nicolas Sarkozy en est une autre. La promotion de l’accession à la propriété a un effet collatéral tout à fait intéressant pour l’actuel président et futur candidat. Elle opère une transformation sur une partie de l’électorat, classes moyennes voire populaires, qui, en passant de locataires à propriétaires, font plus que changer de statut. Les intérêts d’un propriétaire et d’un locataire ne sont pas les mêmes. Un propriétaire a des réflexes patrimoniaux qui le conduisent à être moins favorable à l’imposition du patrimoine, bien sûr, mais également à la fiscalité sur la succession. Or cette dernière fiscalité est prépondérante dans un programme de gauche qui souhaite agir efficacement contre la reproduction des inégalités. Exemple qui peut être élargi au rapport à la fiscalité en son ensemble – ce n’est pas un hasard si une des trois tables rondes du prochain congrès de l’Union Nationale de la Propriété Immobilière (où sont annoncées des personnalités politiquement aussi « diverses » que Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy ou Christine Boutin …) a pour thème « l’allégement du fardeau fiscal », en collaboration avec les fameux Contribuables et Associés.
L’idéologie rejoint donc des intérêts tout à fait concrets. Nicolas Sarkozy travaille à se construire une clientèle électorale dormante, qui ne votera sans doute pas automatiquement pour lui, mais qui pourrait, disons, être peu favorable à une gauche claironnant qu’elle va augmenter la pression fiscale, notamment sur les détenteurs d’un patrimoine. Or c’est précisément ce que le Parti socialiste, tous candidats putatifs confondus, semble se préparer à faire – à raison. Combien de précieuses voix perdues au passage, dans un scrutin qui pourrait bien se jouer au couteau ?
La gauche pourrait défendre un modèle alternatif, à dominante locative, favorisant la mobilité (tant géographique que sociale) des Français, tranchant avec la culture de « l’investissement dans la pierre ». Un difficile combat idéologique en perspective, dans un pays dont ¾ des habitants se rêvent en propriétaires de leur home sweet home.
Romain Pigenel