Rare, mais l'exception confirme la règle, la publication
en entier d'un article à propos de la Région des Grands
Lacs Africains. Cet article de Colette Braeckman auquel
ce blog et l'auteur souscrivent. Les mêmes questions, les
même inquiétudes. Pourquoi maintenant ? La fuite, ses
origines ne devraient pas trop étonner ceux et celles qui
suivent assiduments la situation de cette région.Qui mieux
que Colette Braeckman pour faire une synthèse, avoir une
lecture de terrain ? Nous avons eu la chance de nous croisé
sur certains. Ici, la tension monte. C'est regrettable. Rien ne
sert aux uns et aux autres de surenchérir.
Cette actualité, est à suivre de près. Ce qui est ou sera
publié et avalisé par l'ONU ne sera pas ce rapport tel quel.
Quoi qu'il en soit, il ne doit pas laisser une porte ouverte
supplémentaire aux négationniste du Génocide de 1994.
A tout prendre il sera peut être une monnaie d'échange qu'
utilisera la France qui est de nouveau devant le dilemme de
faire ou ne pas faire de commission sur le Rwanda et les
événements de 1994.
Bonne lecture et Bonne journée !
Colette Braeckman : Crédit Photo Le Soir
La vérité due aux morts et les intérêts des vivants
Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises victimes. Si l’on veut
que la région des Grands Lacs connaisse un jour une paix
durable, il faudrait que la lumière soit faite sur tous les crimes
qui y ont été perpétrés, par les uns et par les autres, que tous
les morts, quel que soit leur groupe ethnique ou leur nationalité,
puissent être pleurés sans contrainte et reposer en paix. Mais
il n’y a pas non plus de bonne et de mauvaise vérité et si l’ONU
entend prendre la tête de l’exercice, elle doit aussi rappeler ses
propres responsabilités : l’abandon du Rwanda, la protection
humanitaire accordée à des génocidaires en armes confondus
avec les réfugiés, l’incapacité de régler le problème sécuritaire
que leur présence représentait tant pour le Rwanda que pour les
populations congolaises. Et, de nos jours encore, il faut déplorer
l’incurie des Casques bleus qui, à Luvungi, n’ont pas réussi, et
peut-être pas tenté, de protéger 200 femmes congolaises violées
systématiquement par des rebelles dont la présence, il importe
de s’en souvenir, découle directement des évènements de 1994
et de la guerre de 1996-1998…
Cela étant, à condition qu’elle aborde les causes autant que les
conséquences, l’investigation menée au Congo est légitime, car
elle rend justice à ces millions de Congolais qui ont été, à des
titres divers, victimes d’une guerre qui n’était pas la leur. Mais
elle est aussi explosive, car la publication du rapport risque de
bousculer plusieurs gouvernements de la région : des éléments
des forces armées rwandaises sont directement visés, mais des
Burundais, des Ougandais, ainsi que des officiers congolais, hier
membres des groupes rebelles, pourraient également être mis
en cause.
Pour être complet, le rapport devrait aussi mentionner les appuis
internationaux dont bénéficièrent à l’époque les forces de l’AFDL
ainsi que leurs adversaires. En effet, au moment des massacres
de Tingi Tingi, des mercenaires serbes se trouvaient à Kisangani,
recrutés par les Français et ils s’apprêtaient à faire leur jonction
avec les combattants hutus qui se servaient des réfugiés civils
comme de boucliers humains.
En outre, les attaques sur les camps et la traque des réfugiés à
travers le Congo furent rendues possibles par des photos aériennes
fournies par les Américains, tandis que les Canadiens faisaient tout
pour décourager, au début de la guerre, une intervention plus vaste
de l’ONU.
Autrement dit, il serait totalement injuste de charger uniquement
les gouvernements africains de la région, comme si les Nations
Unies et surtout les grandes puissances membres du Conseil de
sécurité n’avaient pas été activement impliquées dans ces
événements, évènements dont les peuples de la région des
Grands Lacs allaient payer le prix durant des décennies.
Après quinze années de silence obligé et de triomphe de la
raison d’Etat, ce rapport, dont la fuite, inévitable mais peut-être
pas fortuite, apparaît comme un pavé dans la mare, alors que
les gouvernements de la région commençaient enfin à se parler,
à collaborer, à s’engager dans la reconstruction. Les intérêts des
vivants, qui aspirent à la paix, au développement, pourraient
entrer en collision avec la vérité due aux morts…