"Voilà le vaisseau qui s'arrête sur les flots, tout comme s'il eût été à sec dans la cale. Eux, stupéfaits, continuent à battre la mer de leurs rames et larguent toutes les voiles, espérant par ce double moyen faire filer le navire. Mais des lierres embarrassent les rames, serpentent en flexibles étreintes et suspendent leurs grappes aux voiles appesanties.
Le dieu, couronné de raisins, brandit une lance voilée de pampres; et, autour de lui s'allongent des tigres, des apparences de lynx, des formes cruelles de panthères tachetées.
Les hommes, vertige ou terreur, sautent à la mer. Et Médon, le premier, noircit, s'amincit en nageoires, se courbe en arc. Et Lycabas: "quel miracle, dit-il, quelle métamorphose!" Mais, comme il parlait, sa bouche s'élargit, son nez s'allonge, sa peau durcie se couvre d'écailles. Libys, qui peinait à retourner les rames, voit ses mains se réduire et se contracter: non plus mains mais nageoires. Un autre voudrait tendre les bras pour débarrasser les cordages: il n'a plus de bras; privé de membres, le dos voûté, il saute dans les ondes; et sa queue ressemble à une faux ou à la courbe du croissant de lune.
De toutes parts ils bondissent et font jaillir l'eau en rosées, émergeant encore et rentrent sous le flot, et jouent comme un chœur dansant et lancent capricieusement leurs corps, aspirent la mer et la rejettent de leurs larges naseaux". ..
Métamorphose des pirates en dauphins (Métamorphoses d'Ovide, III, v. 629-685) Traduction de Jean Bayet, 1958